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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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hommes d'Hénoch hésitèrent à accéder à son désir. Il y eut des conciliabules. Enfin, quelques-uns se présentèrent devant elle :
    — Jusqu'où devrons-nous aller, Grande-Mère Awan ? demandèrent-il.
    — En direction du couchant, aussi loin que nous le pourrons dans le désert. Nous marcherons toute la nuit. Les étoiles et la lune nous guideront. Nous nous arrêterons à la première aube. Vous creuserez une fosse et nous y déposerons le premier-né d'Ève. Caïn est sorti de son ventre par le désir d'Élohim, mais depuis ce jour, comme nous tous, il est promis à la poussière d'où a été tiré son père Adam.
    — En ce cas, Grande-Mère, pourquoi aller si loin ? Pourquoi marcher toute une nuit ? De la poussière où creuser une tombe, il s'en trouve à perte de vue autour d'Hénoch.
    — Si Lemec'h ne l'avait pas massacré dans un buisson d'épines comme une bête sauvage, c'est loin vers l'ouest que Caïn serait allé rendre son dernier soupir. Aussi loin que nécessaire d'Hénoch et aussi près que possible des jardins verts de l'Éden d'où il fut chassé. Il aurait marché le visage levé vers le ciel d'Élohim. Il aurait marché la bouche grande ouverte afin qu'Élohim entende ses derniers mots. Maintenant que ses jambes ne peuvent plus le porter, qui d'autre que moi peut l'aider à accomplir sa dernière errance dans le pays de Nôd ? Qui d'autre que moi, Awan, son épouse et sa sœur ? J'ai connu la saveur de son désir et de ses tendresses, j'ai caressé son visage creusé de doutes et de regrets.
    Les porteurs grommelèrent encore :
    — Marcher la nuit, ce sera s'offrir aux bêtes affamées et à la fureur des idolâtres.
    — N'ayez crainte. Ils verront qui vous portez. Même dans le noir, ils ne seront pas aussi aveugles que Lemec'h. Ils se garderont de vous approcher.
    Le corps immense de Caïn fut étendu sur les branchages, serré dans un lé de lin que j'avais tissé. Awan en roula le haut, prenant soin de laisser paraître la chevelure rouge de son époux, marque d'Élohim.
     
    Quand les porteurs se mirent en marche, le plus grand nombre se détourna, apeuré. Ma mère Tsilah saisit ma main, m'entraînant avec elle derrière la civière. Adah et mes demi-sœurs, Noadia et Beyouria, nous suivirent. Puis d'autres femmes. Le cortège n'était pas long.
Nous passâmes la porte du Sud et nous arrêtâmes hors des murs d'Hénoch. Appuyée sur son bâton blanc, Awan avançait un peu à l'écart. Sa haute taille dessinait une ombre étirée sur la terre craquelée.
    Enfin nous nous arrêtâmes, laissant le convoi s'éloigner. Quand il fut à une ou deux portées de flèche, la Grande-Mère se retourna, leva la main en signe d'adieu. Elle était trop loin pour que je puisse distinguer ses traits. Pourtant, il me sembla que ses yeux transparents étaient fixés sur moi. Tout le reste du jour, et plus encore, je sentis le poids brûlant de son regard.
    De retour entre les murs de Lemec'h, ma mère lava le corps de Tubal, aidée par Adah, sa sœur, première épouse de Lemec'h. Adah prépara des herbes odorantes et les pressa entre des bandelettes de lin avec lesquelles elle enveloppa Tubal des pieds à la gorge. Quand elle voulut en enserrer la tête massacrée de mon frère, ma mère Tsilah s'y opposa :
    — Non ! Certainement pas ! s'écria-t-elle. Si Élohim veut faire monter mon fils près de Lui dans le monde des morts, Il devra supporter de voir ce visage que lui a laissé Lemec'h.
    On roula Tubal dans le tapis encore tout humide de sang que j'avais tissé. Ma mère Tsilah me demanda d'en coudre les bords hermétiquement. Mes demi-frères, Yaval et Youval, creusèrent une fosse à l'extérieur d'Hénoch. Le crépuscule tombait lorsqu'on déposa enfin le tapis de Tubal sur le brancard des morts pour l'y transporter. Ma mère Tsilah et moi marchions à sa gauche et à sa droite. Nombreux furent ceux qui nous suivirent.
    Yaval et Youval déposèrent doucement le rouleau abritant Tubal dans la poussière de la fosse. Alors, écartant la foule de son bâton et de ses grognements, mon père Lemec'h s'approcha. Sa main gauche soutenait une coupe de cuivre. Tubal l'avait forgée lui-même. Les braises de l'autel d'Élohim y rougissaient. Ma mère se jeta au travers de son chemin :
    — Tu n'iras pas plus loin, Lemec'h.
    — Écarte-toi, femme. Je suis son père.
    — Tu l'étais. Maintenant, tu n'es plus que son meurtrier.
    Lemec'h leva son bâton. Ma mère le saisit des
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