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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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se redressa :
    — Lemec'h ! Comment oses-tu te montrer aussi fourbe ? Tes yeux ne voient plus, pourtant c'est ton bras qui a tenu l'arc. Le visage de ton fils, ce sont tes mains qui l'ont massacré.
    — Tsilah, tais-toi ! Tu parles sans savoir. Écoutez-moi tous. Voici ce qui est, voici la vérité. Depuis des lunes, chacun le sait, Tubal, mon fils, était le meilleur forgeron du pays de Nôd. Il forgeait les pointes des lances, des piques et des flèches. Il forgeait les lames de chasse et de guerre, il armait nos bras contre les bêtes fauves et contre les idolâtres. Il coulait le cuivre et le bronze, il les martelait de sa masse, il me montrait ses œuvres. Il en était fier, et moi, Lemec'h, son père, plus fier encore.
    « Il y a peu, un jour de la lune passée, le voilà qui se présente à moi avec un faisceau de flèches dans le poing. Il m'en fait juger les pointes. À peine en ai-je effleuré le cuivre si coupant qu'il me sort le sang du pouce. Tubal me dit : “Père, allons chasser ensemble. Tu n'as plus d'yeux et pourtant ton arc porte plus loin et plus juste que le mien. Tu essaieras ces flèches nouvelles sur des bêtes au cuir épais. On verra si elles le perceront.” Je lui réponds : “Tubal, mon fils, si mes flèches touchent leur but, ce n'est pas le signe de mon adresse, c'est qu'Élohim les conduit.”
    « Nous nous décidons pour une chasse dans l'est de Nôd. Avant de partir, nous déposons nos offrandes sur l'autel d'Élohim. Nous nous soumettons à Sa volonté et à Son jugement. Et nous voici en route. À peine le soleil est-il monté dans le ciel que Tubal me retient par le bras. Il me chuchote à l'oreille : “Père, plus de bruit. Il y a une combe devant nous, un grand fauve y dort dans les broussailles.” De roche en roche, nous nous approchons. Tubal me guide en murmurant : “Père, ne fais aucun bruit avec tes sandales. Une bête pareille doit avoir l'ouïe fine.” Cela prend du temps. Je sens le soleil forcir au-dessus de nous. Enfin Tubal dit précipitamment : “Père, la bête a bougé. Elle nous a devinés. Je vois son poil s'agiter à travers les buissons. Elle est à quatre-vingts pas sur ta gauche. Sauras-tu l'atteindre ?”
    « J'ai senti le regard d'Élohim descendre en moi, Son souffle prendre possession de mes muscles, Sa volonté tendre mon arc. La flèche est partie. Le cuivre de Tubal a sifflé dans l'air. Il a tranché dans la chair. Un bruit sourd. Puis un cri, sans fin et lugubre. Je dis à Tubal : “La bête est touchée en plein cœur, c'est son râle de mort que j'entends.” Alors Tubal s'écrie d'une voix que je ne lui connaissais pas : “Père ! Père !”
    « Rien de plus, car un vacarme de branches cassées monte du buisson. Je demande : “Tubal, la bête est-elle seulement blessée ? Vient-elle sur nous ?” Et lui : “Non, mon père ! Oh non ! Il s'effondre ! Il va mourir. Élohim ! Élohim ! Qu'avons-nous fait ?” Moi : “Tubal, de quoi parles-tu, qu'est-ce que ce bruit ?” Lui : “Père, oh, mon père ! La faute est à moi. Je ne l'ai pas reconnu. Les poils de sa tunique m'ont trompé.” Moi : “Tubal, parle clair, je ne te comprends pas !” Et Tubal gémit : “C'est notre aïeul Caïn que ta flèche a atteint, mon père. C'est lui, Caïn le Grand-Aïeul, qui est mort.” Moi : “Malheureux, malheureux ! Tubal, mon fils, qu'as-tu fait ? Comment as-tu pu te tromper ?”
    « Je cours jusqu'au bosquet. Je trébuche sur le corps de Caïn. Mes mains trouvent la flèche fichée dans sa poitrine. Elle s'y est enfoncée comme dans celle d'un enfant. Le corps du père de mes pères est chaud, mais pas un souffle dans sa bouche !
    « Tubal accourt près de moi, tout tremblant. La colère et le désespoir me brûlent la gorge. Moi qui vis dans le noir, une obscurité plus profonde encore prend possession de mon esprit, m'inonde d'une douleur inconnue. Je hurle : “Tubal ! Tubal ! Comment as-tu pu confondre ton aïeul Caïn avec une bête ? N'as-tu pas vu le signe d'Élohim sur lui ? N'as-tu pas vu sa chevelure et sa barbe rouges ? Y a-t-il dans Nôd une seule autre créature qui soit marquée d'un pareil signe ?” “Non, mon père, se lamente Tubal, non, je n'ai rien vu. Pas un seul poil rouge, pas un cheveu, rien ! Seulement la fourrure des fauves dont il s'est vêtu. Élohim n'a pas voulu que je voie Son signe. Tu dois me croire, mon père.”
    « À
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