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Le Dernier Caton

Le Dernier Caton

Titel: Le Dernier Caton
Autoren: Matilde Asensi
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    Toute œuvre d’art, tout objet sacré subit comme nous les dommages irréparables du temps. Dès que leur créateur, conscient ou non de leur harmonie avec l’infini, les termine et les expose au monde, ils entrent dans un processus qui les rapproche eux aussi, au fil des siècles, de la vieillesse et de la mort. Néanmoins, ce temps qui nous flétrit et nous détruit leur confère une nouvelle forme de beauté que jamais aucun homme ne pourra rêver d’atteindre. Pour rien au monde, je n’aurais aimé voir le Colisée reconstruit avec ses murs et ses gradins en parfait état, et je n’aurais rien donné pour un Parthénon peint de couleurs criardes ou une Victoire de Samothrace dotée d’une tête.
    Profondément absorbée par mon travail, je méditais ainsi sur la fuite du temps, tout en caressant du bout des doigts les coins pointus du parchemin qui se trouvait devant moi. J’étais si concentrée dans ma tâche que je n’entendis pas le professeur William Baker, secrétaire des Archives, toquer à la porte. Je ne l’entendis pas davantage tourner la poignée et passer la tête par l’entrebâillement. Lorsque je l’aperçus enfin, il se tenait déjà sur le seuil du laboratoire.
    — Sœur Ottavia, murmura Baker sans oser faire un pas, le révérend père Ramondino aimerait vous voir immédiatement dans son bureau.
    Je levai les yeux, ôtai mes lunettes pour mieux observer le secrétaire qui arborait la même expression de perplexité que moi. Baker était un Américain de petite taille qui aurait pu passer sans difficulté pour un Européen, avec ses épaisses lunettes d’écaille et ses cheveux poivre et sel clairsemés qu’il coiffait méticuleusement pour recouvrir son crâne dénudé.
    — Excusez-moi, dis-je en écarquillant les yeux, je ne vous écoutais pas.
    — Le révérend père Ramondino vous attend dans son bureau. Tout de suite.
    — Moi ?
    C’était très étonnant. Guglielmo Ramondino, le numéro deux des Archives secrètes du Vatican, représentait la plus haute autorité exécutive de cette institution, juste derrière monseigneur Oliveira, et l’on pouvait compter sur les doigts de la main le nombre de fois où il avait réclamé la présence dans son cabinet d’un de ses employés.
    Baker fit un léger sourire et hocha la tête.
    — Savez-vous pour quelle raison il souhaite me voir ? lui demandai-je, intimidée.
    — Non, ma sœur, mais il s’agit sans doute d’une affaire importante.
    Sans se départir de son sourire, il ferma doucement la porte et disparut. Je sentis alors les effets de ce que l’on appelle vulgairement une panique incontrôlable : mes mains étaient moites, j’avais la bouche sèche, des palpitations et les jambes flageolantes.
    Je me levai de mon fauteuil comme je le pus, j’éteignis la lumière et lançai un regard triste sur les deux magnifiques textes byzantins qui reposaient, ouverts, sur ma table. J’avais consacré les six derniers mois de ma vie à reconstruire, à l’aide de ces manuscrits anciens, le fameux texte perdu du Panegyrikon de saint Nicéphore, et j’étais sur le point d’achever mon travail. Je poussai un soupir résigné… Un silence total régnait autour de moi. Mon petit laboratoire, meublé d’une vieille table de bois, de deux banquettes et de nombreux rayonnages remplis de livres, et orné d’un simple crucifix au mur, était situé quatre étages en dessous du niveau du rez-de-chaussée. Il faisait partie de ce que l’on appelle l’Hypogée, cette section des Archives secrètes à laquelle seules avaient accès un nombre réduit de personnes, la section invisible du Vatican, inexistante pour le monde extérieur et pour l’Histoire. De nombreux journalistes et étudiants auraient donné la moitié de leur vie pour pouvoir consulter seulement quelques-uns des documents qui étaient passés entre mes mains au cours de ces huit dernières années. Mais la simple idée qu’une personne étrangère à l’Église pût obtenir les autorisations nécessaires pour arriver jusqu’ici était une illusion : jamais aucun laïc n’avait eu accès à l’Hypogée, et jamais aucun ne l’aurait.
    Sur mon bureau, on pouvait voir, en plus des lutrins, des piles de carnets de notes et d’une lampe de faible intensité pour éviter le réchauffement des parchemins, des bistouris, des gants de latex et des dossiers remplis de reproductions photographiques de haute résolution, représentant les feuillets les
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