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Ève

Ève

Titel: Ève
Autoren: Marek Halter
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disait-on, elle ne tirait qu'une raison, obtenir le pardon d'Élohim ; et qu'une espérance, le droit de revenir devant Lui dans le pays d'Éden.
     
    Comme elle s'approchait, je me mis à trembler. Elle me frôla. Je baissai la tête, n'osant affronter son regard. Je fixai le bas de sa tunique et ses mains serrées sur le bâton.
    La voix de mon père retentit de nouveau, cette fois si changée que j'en perçus l'émotion et l'inquiétude :
    — Awan, Grande-Mère de nous tous, es-tu là ?
    Elle ne répondit pas.
    Elle s'avança jusqu'au corps de Caïn. Avec difficulté, lentement, lentement, s'agrippant des deux mains à son bâton, sans que personne ose venir à son aide, elle s'agenouilla. Elle enserra le visage de son mort bien-aimé. Elle enfouit ses doigts noueux et déformés dans la barbe rouge. Ses pouces caressèrent doucement les paupières closes. Une mélopée s'échappa de sa poitrine. Elle s'inclina encore. Sa longue chevelure blanche se mêla à celle de Caïn. Un instant, pendant qu'elle lui baisait les lèvres, ils semblèrent unis dans la même toison.
    Quand elle voulut se relever, Yaval et Youval accoururent à son aide.
    Elle considéra longuement la face détruite de mon frère Tubal. Puis elle dit :
    — Lemec'h, fils de Metouchael, fils de Mehouyael, fils d'Irad et fils d'Hénoch, semence de Caïn dans mon ventre, je suis venue retirer le corps de mon époux des mains de son meurtrier.
    La voix d'Awan sidérait : forte, vive et nette. Mon père vacilla comme s'il avait reçu un coup. Il ouvrit la bouche pour protester. Awan frappa le sol de son bâton.
    — Tais-toi, Lemec'h ! Tu fuis la vérité, comme Caïn l'a fuie après avoir abandonné Abel dans le sillon du meurtre. Ne sais-tu pas compter ? La septième génération depuis que nous errons dans le pays de Nôd n'a pas encore vu le jour. Tes fils et tes filles ne sont que la sixième.
    Un grondement de stupéfaction roula dans la cour. Awan se retourna. Sa voix, si terriblement jeune et ardente, éclata de colère :
    — Vous tous, ne voyez-vous pas la chevelure de Caïn ? Même abattu par la flèche de Lemec'h, même sans un souffle de vie, mon époux ne porte-t-il pas encore le signe d'Élohim ? Ces cheveux et cette barbe rouges comme le feu du crépuscule ! Y en a-t-il deux comme lui dans le pays de Nôd et sur toute la Terre ? Gens d'Hénoch, êtes-vous plus aveugles que Lemec'h lui-même ? Le châtiment des meurtriers, le châtiment des bannis de l'Éden vous pend au nez et vous refusez de le voir. Moi, Awan, fille d'Ève et d'Adam, sœur d'Abel et épouse de Caïn, je vous le dis : de toutes les générations sorties de moi, il ne viendra jamais rien de bon. Ô vous, filles, femmes et épouses, écoutez-moi. Jusqu'à la fin des fins, vos ventres n'enfanteront que des meurtriers et des assassins. Élohim ne veut plus de nos générations.
    Oh, la stupeur, la terreur qui nous emplirent !
    Les mots d'Awan nous firent l'effet du feu et de la glace.
    Jusqu'à la fin de mes jours, j'entendrai résonner ses paroles.
    Awan avait raison : nous le savions et nous ne voulions pas le savoir.
     
    Des sanglots retentirent. Le visage de ma mère Tsilah se couvrit de pleurs. Elle retomba à genoux devant le corps de Tubal. Je crus que, emportée par la douleur et par la vérité sortie de la bouche d'Awan, elle allait joindre son visage à celui, détruit, de son fils. Je me précipitai pour l'en empêcher.
    Le bâton blanc d'Awan barra ma poitrine. Il me fallut bien lever le regard. Ses yeux pâles me fixaient.
    — Ce que j'ai dit des femmes, des filles et des épouses d'Hénoch ne te concerne pas, Nahamma. Élohim a un autre destin pour toi. Un destin de beauté, celui de ton nom, Nahamma.
     
    Awan parlait d'une voix si douce, si basse, si rassurante, que j'osai murmurer :
    — Est-ce possible ? Comment le sais-tu, Grande-Mère ?
    La Grande-Aïeule me sourit. Ses doigts rêches frôlèrent ma joue.
    — Je le sais parce que je suis moi. Ah, quand je te regarde, ce que je vois m'apaise. Toi seule possèdes ce charme que je n'ai connu qu'une fois : celui de ma mère Ève.
     

3
    Awan réclama des hommes pour porter le corps de Caïn jusqu'au lieu de son ensevelissement. Mon père Lemec'h ignora la requête. Il chercha le bras de son fils Yaval et se fit reconduire à l'intérieur de sa chambre sans adresser un salut à la Grande-Mère. La cour résonna encore longtemps de l'effroi qu'elle y avait semé. Les
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