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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys
Autoren: Chantal Touzet
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lorsqu’elles avaient le sang, et
elle n’était guère pressée de l’avoir.
    Elles avaient toujours été ensemble, jour et nuit,
malgré le mariage précoce de son amie avec un baron bavarois cacochyme qui
avait eu le bon goût de mourir avant de faire femme sa petite épouse.
    La princesse de Bavière étouffa un bâillement :
l’allure du convoi était si lente qu’elle l’endormissait.
    — Galope, bel oncle ! Galope !
    Le jeune duc, qui s’ennuyait aussi, talonna son
cheval en poussant un grand cri et le lança au galop. Elle se mit à hurler de
plaisir en remontant la colonne à pleine course. Ils dépassèrent à un train d’enfer
la litière empanachée de Marguerite de Bourgogne, qu’elle salua au passage d’un
geste joyeux. Et la foule des piétons encouragea de ses clameurs le cavalier et
sa cavalière dans un envol de chapeaux.
    Trop tôt, Frédéric lâcha les rênes et laissa sa
monture reprendre le pas. Le destrier pommelé du duc soufflait à grand bruit de
naseaux, secouant sa tête admirable.
    — Encore, bel oncle, encore !
    — Laisse, il a longuement cheminé, ne vois-tu
pas qu’il est fatigué ?
    Isabelle soupira, mais se résigna. Elle aimait
trop les chevaux pour en crever un. Comme ils remontaient lentement le convoi, elle
s’étonna d’un tel déploiement de forces pour aller en pèlerinage.
    — Pour un peu tu aurais emmené toute ton
armée. Partons-nous à la bataille, mon oncle, ou penses-tu que tes soudards
doivent faire avec moi leurs dévotions ?
    — Les routes ne sont pas sûres. La trêve avec
l’Anglais [2] a débandé un grand nombre de mercenaires. Ils vivent de rapines, mais le pays n’a
plus grand-chose à leur offrir. Sans mes preux, nous serions déjà en chemise.
    Isabelle avait découvert les Flandres avec
surprise et dégoût. Un pays plat où seuls les clochers accrochaient l’horizon. De
nombreux villages avaient été détruits, rasés, brûlés. Des bandes furtives de
paysans faméliques cherchaient dans les ruines l’espérance d’un objet familier
épargné, ou un sac de farine oublié par les pillages. Le plat pays suait la
peur et les cendres.
    Tout était si différent de sa Bavière, ses fières
montagnes, ses lacs comme des miroirs, et cet air vivifiant qui enivre.
    *
    Dans sa litière, Jeanne de Brabant, les yeux
clos, semblait somnoler, engoncée dans une houppelande de lainage fin. Sous le
chaperon à longues cornettes enroulées autour du cou, elle étouffait, la
respiration oppressée, le visage luisant de chaleur et de fatigue. Cette route
n’en finissait plus…
    Elle grimaça. Un nouvel élancement lui rappela
cette veine qui saillait, rougeâtre et douloureuse sur le gras de son mollet, depuis
le départ de Bavière. L’emplâtre que lui avait appliqué Ozanne de Louvain,
fait de « fiente fraîche de vache enveloppée dans des feuilles de vigne »,
était censé calmer l’inflammation. Cette bâtarde, quelque peu guérisseuse, connaissait
les arcanes des simples, des potions et des charmes. Elle les tenait de sa
sorcière de nourrice et du grimoire Le Grand Albert des secrets , que
celle-ci lui avait légué.
    La douairière jeta un regard d’inimitié à la jeune
fille qui se tenait coite dans un angle de la voiture, regardant rêveusement le
paysage. En face, Miette la Clabaude, la rustique et encombrante montagnarde
aux humeurs bougonnes, ronflait, bouche ouverte.
    Ozanne était le fruit des amours illégitimes entre
feu l’époux de la douairière et une noble dame de sa maison. Cette dernière
avait reçu un juste châtiment en mourant en couches. La naissance l’avait
mortifiée, d’autant que cela confirmait sa propre stérilité. Encore heureux que
ce ne fût qu’une fille.
    Une fille fort belle, il fallait l’admettre, et
cette beauté la servait. Au printemps de cette même année, lors des fêtes du
Mai [3] ,
elle lui avait ordonné de se tenir au plus près du roi de France et de le
séduire. Comptant sur le charme d’Ozanne et l’appétit charnel de Charles VI,
elle espérait qu’il en ferait sa favorite. La douairière veillait à pousser des
gens à elle dans les allées du pouvoir.
    Mais cette bâtarde n’avait pas su retenir l’attention
du jeune souverain.
    Aujourd’hui, elle avait placé la demoiselle de Louvain
auprès d’Isabelle lorsqu’elle avait compris à Bruxelles qu’elle ne gagnerait
jamais l’amitié de cette dernière, qui s’était révélée d’une pâte qui ne
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