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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys
Autoren: Chantal Touzet
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mère reniera le fils. Les hommes
seront perdus de Dieu entre deux tabernacles [1] .
    L’homme avait une voix profonde, prenante, égale.
    Isabelle se garda bien de le contrarier. Encore un
fol, songea-t-elle, échappé de la colonne où toutes sortes de gens s’étaient
ralliés : marchands, colporteurs appelés pieds poudreux, mendiants, bateleurs
ou pèlerins, qui profitaient des gens d’armes pour cheminer en sécurité.
    Celui-ci était sans doute un prédicateur, un de
ceux qui aimaient à annoncer sans relâche la venue de l’antéchrist et l’Apocalypse.
    — Donne tes mains, lui demanda-t-il dans un
souffle.
    Elle les mit dans les siennes, en s’étonnant
toujours de ne ressentir aucune crainte, nullement gênée par l’étrangeté de ses
yeux blancs finement veinés de rouge.
    Il les enveloppa dans ses paumes, les pressa
doucement.
    — Je vois une couronne sur tes cheveux. Retourne,
Basileia, on te ment.
    — Pourquoi « Basileia » ? N’est-ce
point ainsi que se dit « reine » dans la langue des Grecs ?
    — Tu seras reine.
    — Je ne suis qu’une noble pèlerine sur le
chemin de Saint-Jean d’Amiens, pouffa-t-elle en haussant les épaules. Et toi, qui
es-tu ?
    — Je suis Zizka.
    Il lui rendit ses mains en murmurant avec gravité :
    — Quand tes larmes se feront larmes de sang, alors
je serai à tes côtés, toujours.
    Que signifiait ce galimatias ?
    Des cris proches éclatèrent.
    — Isabellette, où es-tu ? Isabelle ?…
    C’était la voix aigrelette de Catherine, son amie
d’enfance, et celle, légèrement rocailleuse, d’Ozanne, sa nouvelle suivante.
    Isabelle se détourna un instant, distraite par les
appels.
    Quand elle fit face à nouveau, l’homme avait
disparu, dissous dans l’éther ensoleillé de cet après-midi de juillet. D’instinct,
elle sut qu’elle le reverrait. Et ce fut aussi d’instinct qu’elle tut cette
étrange apparition.
     
    « Isabelle ! » s’entendit-elle
encore appeler.
    — Je suis là, attrapez-moi ! cria-t-elle.
    Avisant non loin un champ de blé ondoyant de
blondeur, elle courut s’y perdre et se laissa tomber de tout son long sur le dos,
les bras en croix, avec délectation. Elle poussa un profond soupir en reprenant
son souffle, savourant cet instant de répit. Dans sa cache bucolique, il lui
semblait n’être nulle part, à l’abri des exigences de la duchesse Jeanne de Brabant.
Déjà trois mois qu’elle avait quitté sa Bavière pour se rendre au pèlerinage de
Saint-Jean d’Amiens en royaume de France, chaperonnée par cette affreuse
douairière.
    Mais bientôt les grands chaumes s’agitèrent. Catherine
de Fastatavin en émergea et se jeta sur elle avec un cri de triomphe.
    — Touchée !
    Elles roulèrent l’une sur l’autre en hurlant de
rire. Enfin, elles s’immobilisèrent dans un emberlificotement de jupes, de bras
et de jambes, et restèrent ainsi, haletantes.
    Catherine finit par se dégager, s’assit, et remit
un peu d’ordre dans sa tenue. Isabelle restait toute chiffonnée, étalée dans un
sillon avec un sourire béat.
    — N’avez-vous honte, demoiselle, dit
Catherine en prenant une grosse voix, de vous vautrer ainsi dans vos beaux
atours ? Croyez-vous que l’on vous ait offert si précieuse garde-robe pour
vous conduire de si vilaine façon ?
    Isabelle entra dans le jeu et prit un air coupable.
    — Madame de Brabant, vous avez raison, et
je vous en demande humblement pardon. Je ne mérite qu’un bliaut de méchante
laine que je porterai pour ma punition. Ainsi, je pourrai me rouler tout mon
soûl pour mon contentement sans vous mécontenter.
    — Taisez-vous, demoiselle de Bavière. Vous
êtes une insolente !
    Les deux jeunes filles éclatèrent de rire. Isabelle
reprit son sérieux et dit d’un air boudeur :
    — C’est vrai, ça ! Avec cette grosse douairière,
je ne sais ce qu’il convient de faire, et rien n’est jamais fait pour lui
plaire. Elle ne cesse de me prodiguer conseils et réprimandes.
    Trois mois plus tôt, Jeanne de Brabant était
l’hôte du duc et de la duchesse de Bavière au château de Ludwigsburg, près
de Stuttgart. Une visite de courtoisie, comme il est de bon ton de se faire
entre maisons princières. Isabelle ne s’était guère souciée de la visiteuse, jusqu’au
moment où son père, Étienne d’Ingolstadt, lui annonça qu’elle devait partir, sous
la garde de cette inconnue, au pèlerinage de Saint-Jean d’Amiens, en France. La
jeune
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