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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome
Autoren: Steven Saylor
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jusqu’à
mes pieds et me faisait face, son linceul déployé derrière lui.
    C’était une jeune fille blonde, et pâle comme tous les corps
vidés de leur sang. Malgré son teint cireux, elle présentait les signes de ce
qui avait été une grande beauté. Sa robe déchirée dans la chute dévoilait un
unique sein blanc, dur comme de l’albâtre, et un téton couleur de rose fanée.
    Je vis Tiron ouvrir la bouche sous l’effet d’un désir
inconscient, les commissures tirées vers le bas par une répulsion non moins
spontanée. J’aperçus un autre passage dans la foule et le tirai par le bras.
Mais il restait cloué sur place. J’insistai. Il allait y avoir du grabuge.
    À l’instant même, j’entendis le chuintement caractéristique
du poignard qu’on dégaine et vis un éclair d’acier. Ce n’était pas l’un des
gladiateurs. La silhouette était de l’autre côté de la civière, parmi les
embaumeurs. Un garde du corps ? Un parent de la défunte ? En une
fraction de seconde, si vite qu’on ne pouvait parler de déplacement, l’éclair
réapparut devant le convoi. Il y eut un bruit de déchirure, discret, mais
étrangement définitif. Le gros gladiateur se plia en deux, agrippant ses
tripes. Ses gémissements furent vite recouverts par la clameur de la foule.
    En fait, je n’avais rien vu de l’agresseur ni du crime. J’étais
trop occupé à me frayer un chemin parmi les passants, qui, à la première goutte
de sang, se dispersèrent comme des grains d’un sac troué.
    — Viens ! hurlai-je en traînant Tiron derrière
moi.
    Il continuait à regarder la morte par-dessus son épaule,
ignorant semble-t-il ce qui s’était passé. Mais une fois à l’écart, loin de l’agitation
qui continuait autour du convoi renversé, il me dit à voix basse :
    — Il faut y retourner. Nous sommes témoins.
    — Témoins de quoi ?
    — D’un meurtre !
    — Je n’ai rien vu. Ni toi non plus. Tu n’avais d’yeux
que pour la fille.
    — Non, j’ai tout vu. (Il avala sa salive.) J’ai vu un
meurtre.
    — Tu n’en sais rien. Le gladiateur peut s’en remettre.
Et puis, ce n’est sans doute qu’un esclave.
    Je tressaillis devant la lueur de douleur dans ses yeux.
    — Il faut y retourner de toute façon, répliqua-t-il
sèchement. Ce n’était qu’un début. La moitié de la place doit se battre à l’heure
qu’il est.
    Il fronça les sourcils, frappé par une idée.
    — Peut-être qu’ils auront besoin d’un bon avocat !
    J’ouvris des yeux émerveillés.
    — Maître Cicéron en a de la chance ! Tu as l’esprit
pratique, Tiron. On trucide un homme sous tes yeux, et que vois-tu ? De
bons procès en perspective !
    Tiron était piqué.
    — Mais beaucoup d’avocats se font une pratique de cette
manière. Cicéron dit qu’Hortensius n’emploie pas moins de trois serviteurs pour
circuler dans les rues à la recherche de tels incidents.
    Je redoublai de rire.
    — Je doute que ton Cicéron veuille de ce gladiateur
pour client, ni de son maître. Ni surtout qu’eux-mêmes soient disposés à
traiter avec lui, ou aucun autre avocat. Les adversaires se rendront justice de
la manière habituelle : œil pour œil, dent pour dent. S’ils ne veulent pas
régler l’affaire eux-même – encore que les amis de la victime n’aient
pas l’air de mauviettes – ils feront comme tout le monde : ils
paieront les services d’un gang. Le gang retrouvera l’agresseur, ou son frère,
et le passera par l’épée ; la famille de la nouvelle victime engagera un
gang rival pour se venger, et ainsi de suite. Telle est, Tiron, la justice
romaine.
    J’esquissai un sourire, pour permettre à Tiron de prendre la
chose à la légère. Mais il se rembrunit.
    — La justice romaine, continuai-je sombrement, c’est la
justice de ceux qui ne peuvent pas se payer d’avocat, qui ne savent même pas ce
que c’est. Ou qui s’en méfient, et trouvent les tribunaux pourris. La scène que
nous avons vue peut aussi bien être un épisode d’une querelle de sang, non pas
le début. L’homme au poignard n’a pas forcément de lien avec l’embaumeur, ni avec
la fille. Peut-être est-ce quelqu’un qui attendait juste le bon moment pour
frapper, et qui sait à quoi ou à quand remonte ce conflit ? Mieux vaut ne
pas s’en mêler. Nul ne pourra y mettre fin.
    C’était la stricte vérité, et un sujet d’étonnement pour les
étrangers : Rome n’a pas de police. Aucune force armée pour
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