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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome
Autoren: Steven Saylor
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de gauche vient d’un trou perdu du Samnium. Je lui ai expliqué
trente-six mille fois notre système de collecte des ordures, à quoi elle répond
toujours : « C’était comme ça à Trou-Pluton », enfin, le nom de
son village puant. Ça ne reste jamais bien longtemps, car l’homme qui habite à
droite les fait ramasser par un esclave. Je ne sais pas pourquoi ; je suis
le seul à emprunter ce passage. Peut-être que l’odeur l’incommode, ou qu’il s’en
sert comme engrais. Mais c’est la routine : la dame de Trou-Pluton balance
la merde familiale chaque matin, l’homme d’en face s’en empare avant la nuit.
(Je fis un sourire d’excuses.) Je préviens quiconque est susceptible de me
rendre visite entre le lever et le coucher du soleil. Je ne voudrais pas te
faire gâcher une paire de chaussures pour moi !
    Le sentier s’élargit. Les maisons, plus petites, se
rapprochaient. Nous débouchâmes dans Subure. Un groupe de gladiateurs, la tête
rasée ornée d’une houppe barbare, sortait en titubant du Repaire de Vénus. Le
Repaire est connu pour arnaquer ses clients, les touristes comme les locaux, ce
qui explique pourquoi je ne le fréquente pas, en dépit de sa proximité.
Arnaqués ou non, les gladiateurs semblaient satisfaits. Ils se tenaient par l’épaule
pour garder l’équilibre et beuglaient une chanson qui comptait autant d’airs
que d’interprètes. Visiblement, ils n’avaient pas dessoûlé de la nuit.
    Un groupe de joueurs de trigon s’écarta et se reforma après
leur passage, chacun posté à une pointe du triangle tracé dans la poussière.
Ils se renvoyaient la balle de cuir à grands rires. Ce n’étaient guère plus que
des enfants, mais je les avais vus emprunter la porte de service du Repaire
assez souvent pour savoir qu’ils y étaient employés. C’était un hommage à la
vigueur de la jeunesse que cette partie matinale, après une longue nuit de
coucheries.
    Nous prîmes à droite vers l’ouest, derrière les gladiateurs
ivres. Une autre route venue des pentes de l’Esquilin débouchait sur un large
carrefour. C’est la règle à Rome : plus il y a d’espace, plus il est bondé
et infranchissable. Tiron et moi avancions l’un derrière l’autre dans un chaos
de charrettes et d’animaux. Je hâtai le pas et lui criai de me suivre. Nous
rejoignîmes les gladiateurs. La foule s’écartait devant eux comme la bruine
sous une rafale de vent. Nous profitâmes de leur sillage.
    — Place ! clama une voix forte. Place aux morts !
    Une cohorte d’embaumeurs drapés de blanc arrivait sur le
flanc droit. Ils poussaient une longue civière où reposait un corps enveloppé
de gaze et de fragrances – essence de rose, onguent de clous de
girofle, épices d’Orient. Comme toujours, ils étaient imprégnés de l’odeur âcre
issue du grand crématorium sur la colline.
    — Place ! cria le chef du convoi, en brandissant
une mince baguette, comme celles qu’on utilise pour dresser en douceur le chien
ou l’esclave.
    Il ne frappait que du vent, mais les gladiateurs en prirent
ombrage. L’un d’eux lui arracha sa baguette, qui virevolta et faillit m’arriver
en pleine figure. Je me baissai – une exclamation de douloureuse
surprise s’éleva derrière moi. Toujours courbé, je saisis Tiron par la manche.
    La presse était telle qu’on ne pouvait plus reculer. Au lieu
de se disperser, comme les circonstances l’exigeaient, les gens s’agglutinaient
à la perspective d’une bagarre. Ils ne seraient pas déçus.
    L’embaumeur était court sur pattes, avec un gros ventre et
une calvitie naissante. Il se dressa sur ses ergots, pressant son visage tordu
de rage contre celui du gladiateur. Il grimaça sous l’haleine fétide – même
de là où j’étais, je sentais un relent d’ail et de vinasse – et
siffla comme un serpent. C’était un spectacle grotesque et pathétique. L’énorme
gladiateur répliqua d’un rot sonore et d’une gifle, qui envoya l’autre dans les
brancards. On entendit un craquement, de bois ou d’os, ou les deux ; l’embaumeur
et le convoi s’écroulèrent.
    — Par ici, fis-je en indiquant un passage inespéré dans
la foule.
    Le temps d’y arriver, la brèche s’était remplie de nouveaux
spectateurs.
    Tiron poussa un drôle de cri. Je me retournai. Son
expression était plus drôle encore. Il regardait au sol. Je reçus un coup dans
les chevilles. La civière s’était renversée : le cadavre avait roulé
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