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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome
Autoren: Steven Saylor
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déceler si la partie
adverse vous a déjà approché ou non. Ils s’imaginent toujours que l’ennemi est
arrivé le premier, que vous allez de toute façon accepter le dossier et faire
semblant de les aider, pour les poignarder dans le dos ensuite. Je suppose que
c’est ce qu’ils feraient à ma place.
    « Il finit par s’en aller, non sans laisser une odeur
que Bethesda ne peut éradiquer malgré trois jours passés à frotter, et
seulement deux indices sur le motif de sa visite : le nom de Roscius, et
la ville d’Amena – connaissais-je celui-ci ? Avais-je visité
celle-là ? Comme chacun sait, il y a un célèbre acteur de ce nom, mais il
ne s’agit pas de lui. Quant à Amena, c’est une petite bourgade dans les
collines de l’Ombrie, à une soixantaine de milles. Pas de quoi faire le détour,
sauf à se reconvertir dans l’agriculture. Ma réponse est donc non, et non.
    « Passent un ou deux jours, l’homme ne revient pas. Je
suis intrigué. Je me renseigne par-ci par-là, ce n’est pas sorcier de découvrir
ce dont il retourne : c’est l’affaire du parricide, qui arrive devant les
Rostres. Sextus Roscius d’Ameria est accusé d’avoir fomenté le meurtre de son
propre père, ici même à Rome. Curieux. Personne n’est vraiment au courant des
faits, mais chacun me conseille de ne pas m’en mêler ! Un crime affreux,
dit-on, qui promet un procès affreux. Je m’attendais à des nouvelles d’Hortensius
mais la créature ne réapparaît pas. Il y a deux jours, j’ai appris qu’Hortensius
avait abandonné la défense de son client. »
    J’observai Tiron du coin de l’œil. Il marchait les yeux
rivés au sol, sans me voir, mais je devinai l’intensité de son regard. En voilà
un qui savait écouter. Quel excellent élève il aurait fait, n’était sa
condition d’esclave ! Et peut-être, dans une autre vie, serait-il devenu
un excellent pédagogue pour notre jeunesse !
    — Hortensius, repris-je, sa créature, son mystérieux
procès : tout cela m’était sorti de la tête. Et te voilà qui m’annonce que
je suis « recommandé ». Par qui ? J’imagine par lui, qui préfère
refiler l’affaire à quelqu’un d’autre… A un jeune avocat, mettons, moins
expérimenté que lui. A un débutant, qu’excite un procès qui peut aboutir à un
châtiment atroce. A un avocat qui ne cherchera pas plus loin, qui n’a pas les
moyens de savoir ce qu’Hortensius a dû apprendre.
    Une fois sa recommandation confirmée, il était facile de
procéder jusqu’à la conclusion, guidé que j’étais par les réactions de ton
visage qui, soit dit en passant, est aussi clair et lisible que la prose de
Caton. Une part de logique, une part d’intuition. J’ai appris à me servir des
deux dans mon métier.
    Nous continuâmes en silence. Tiron se mit à rire.
    — Tu sais donc pourquoi je suis venu. Ce n’est même pas
la peine que je te l’expose. Tu me facilites grandement la tâche !
    J’écartai les paumes en un geste typiquement romain de
fausse modestie. Tiron fronça les sourcils.
    — Si seulement je
pouvais lire dans tes pensées à toi. Ou est-ce que ton bon accueil signifie que tu es
d’accord ? Que tu aideras Cicéron en cas de besoin ? Il connaît par
Hortensius ta méthode de travail et tes tarifs. Alors, acceptes-tu ?
    — Accepter quoi ? Je regrette, mes facultés de
divination s’arrêtent là. Sois plus précis.
    — Viendras-tu ?
    — Où ça ?
    — Chez Cicéron.
    Voyant ma perplexité, Tiron précisa :
    — Pour le rencontrer. Pour discuter de l’affaire.
    Je m’arrêtai si brusquement que mes sandales soulevèrent un
petit nuage de poussière.
    — Ma parole, ton maître ignore vraiment tout de l’étiquette !
Il me convie chez lui. Moi, le pauvre Gordien ! Il m’invite à son
domicile. Au fond, oui, j’aimerais bien le rencontrer, ce Marcus Tullius
Cicéron. Le ciel m’est témoin qu’il a besoin d’aide ! Ce doit être un
original. Oui, bien sûr que je viens. Laisse-moi seulement passer une tenue
plus appropriée. Ma toge, par exemple. Et des chaussures. J’en ai pour une
minute. Bethesda ! Bethesda !

2
    Depuis ma maison sur la colline de l’Esquilin à celle de
Cicéron, du côté du Capitole, il faut compter une bonne heure de marche. Tiron
avait réduit ce temps de moitié en cheminant dès l’aube. Mais nous repartions
en pleine agitation matinale, quand les rues de Rome s’emplissent d’une
humanité aiguillonnée
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