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Du sang sur Rome

Du sang sur Rome

Titel: Du sang sur Rome
Autoren: Steven Saylor
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les talons et quitta la pièce.
     
    Il faisait chaud, mais c’était une chaleur agréable. Quand
nous fûmes de retour à la maison, sur l’Esquilin, Bethesda commença par flâner,
mais bientôt elle alla de pièce en pièce remettre tout en ordre. L’après-midi,
je l’accompagnai au marché. Il y avait beaucoup d’animation dans le quartier de
Subure – les cris des vendeurs, l’odeur de la viande fraîche, la ruée
des gens dont le visage m’était familier. J’étais heureux d’être revenu chez
moi.
    Plus tard, pendant que Bethesda préparait mon souper, j’allai
faire un grand tour, sans but précis. La brise tiède me caressait le visage. Je
levai les yeux vers les nuages qui avaient pris une teinte dorée.
    La faim se fit sentir et je songeai à prendre le chemin du
retour. Je regardai autour de moi, et pendant quelques instants, je fus
incapable de dire où je me trouvais, puis je m’aperçus que j’étais arrivé à l’extrémité
du Goulet. Je n’avais pas eu l’intention d’aller si loin, ni de m’approcher de
ce coupe-gorge. Peut-être y a-t-il un dieu qui guide nos pas et dont la main
est si légère que nous la sentons à peine.
    Je fis demi-tour et ne croisai personne. Tout était paisible
quand, tout à coup, j’entendis un bruit confus derrière moi. De nombreux pas
martelaient les pavés, des cris aigus retentissaient dans tout le Goulet et des
bâtons raclaient les murs inégaux qui renvoyaient l’écho, si bien que, pendant
un moment, je fus incapable de dire si le bruit était devant ou derrière moi.
Il semblait s’approcher, comme si une foule en délire me menaçait de deux côtés
à la fois.
    « Sylla a menti, pensai-je. Ma maison sur la colline
est en flammes. Bethesda a été violée et tuée. Maintenant une populace à sa
solde m’a coincé dans le Goulet. Ils vont me frapper. Ils vont m’étriper. »
    C’était maintenant un brouhaha assourdissant. Les voix que j’entendais
derrière moi n’étaient pas des voix d’hommes, mais de garçons. Et soudain, ils
surgirent à un tournant de la venelle, ils souriaient, criaient, riaient,
brandissaient des bâtons, butaient les uns dans les autres dans leur course
folle. Ils pourchassaient un autre garçon plus petit que les autres. Celui-ci
fonça droit vers moi et se cacha sous ma tunique, comme si j’étais un abri où
il pouvait trouver refuge.
    Ses poursuivants s’arrêtèrent en glissant sur les pavés, ils
continuaient de crier, de rire et de taper sur les murs avec leurs bâtons.
    — Il est à nous ! hurla l’un d’eux. On lui a coupé
la langue. Ce n’est qu’un esclave.
    — Il n’a plus de mère, cria un autre. Rends-le-nous !
On s’amuse bien avec lui.
    — Il est drôle ! reprit le premier. Il fait des
bruits bizarres. On le tape fort jusqu’à ce qu’il essaie de crier et il se met
à croasser comme un corbeau !
    J’examinai le marmot en guenilles qui s’était jeté dans mes
bras. L’enfant me regarda d’un air craintif, hésitant, et soudain son visage s’illumina
quand il me reconnut. C’était le petit muet, Eco, que la veuve Polia avait
abandonné.
    Puis face à la meute de garçons déchaînés, sans doute l’expression
de mon visage devint-elle terrifiante, car les plus proches reculèrent et
blêmirent tandis que j’écartais doucement Eco. Certains prirent peur. D’autres
se renfrognèrent, prêts à se battre.
    Je pris sous ma tunique son couteau que je n’avais jamais
cessé de porter, jour après jour, depuis le moment où Eco me l’avait donné. Les
garçons ouvrirent de grands yeux et se bousculèrent tant ils avaient hâte de s’enfuir.
Je les entendis encore longtemps, rire, crier et racler les murs avec leurs
bâtons tandis qu’ils battaient en retraite.
    Eco tendit la main pour saisir le couteau. Je le lui laissai
prendre. Il y avait encore quelques taches du sang de Mallius Glaucia sur la
lame. Eco les vit et gloussa de plaisir.
    Il me lança un regard interrogateur et grimaça en faisant
mine de donner des coups de couteau en l’air. Je lui fis un signe de tête
affirmatif et murmurai.
    — Oui, tu as eu ta vengeance. Avec ton couteau, je t’ai
vengé de ma propre main.
    Il contempla la lame et resta bouche bée, comme en extase.
    Mallius Glaucia avait été l’un des hommes qui avaient violé
sa mère. Or le couteau du petit muet avait achevé Glaucia. Je ne l’aurais
jamais tué, même pour l’amour du petit garçon, si j’avais pu faire
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