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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal
Autoren: Romain Sardou
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fronde normande, des ossatures de chat et des prélèvements divers. Un bric-à-brac à l’image du cerveau fourmillant du propriétaire des lieux.
    Ce dernier jouissait d’une formidable renommée dans cette partie de la ville ; jamais personne n’avait osé brocarder l’affirmation de son enseigne tant celle-ci exprimait la plus étrange et stricte vérité.
    Bénédict Gui avait bel et bien réponse à tout.
    L’improbable traduction latine d’un commentaire arabe ? Il se la procurait. Une énigme de mathématique qui persistait depuis l’Antiquité ? Il la perçait. Un crime de sang ? Il faisait le jour sur l’auteur et son mobile, devançant les gardes de la ville et l’official ad excessus de l’évêché, agent affecté à la résolution des assassinats. Un charlatan se donnait en spectacle pour mieux vendre un élixir de longue vie ou une poudre capable de muter les métaux ? Bénédict Gui le confondait et sauvait la foule de sa sotte crédulité.
    Ses réussites ne se comptaient plus et n’épargnaient aucun domaine, même les plus légers : alors qu’il s’était rendu invincible aux jeux de cartes, plusieurs tripots de Rome se mirent d’accord pour lui verser une pension afin qu’il renonce à ruiner leurs riches clients.
    Le petit peuple raffolait de Bénédict Gui. Divers prélats, seigneurs et gros négociants s’étaient vu traîner devant les tribunaux parce que Gui avait pris en estime le sort d’un modeste bedeau, d’un palefrenier ou d’un fournisseur que l’on frappait d’injustice. Persuasif et limpide, il faisait la joie des juges et était le cauchemar des jurisconsultes.
    Il aurait pu faire fortune, devenir un personnage de cour grassement doté comme les conseillers, les ministres ou les astrologues, mais il préférait vivre à l’écart des perturbations du pouvoir. À ses yeux l’argent n’avait aucune valeur ; seuls les défis, l’enthousiasme et la passion de la preuve l’excitaient.
    Bel homme, petit, à la figure franche, blond, le front clair, il vivait seul. Contre la coutume, il portait de longs cheveux et une barbe inculte qui lui mangeait presque tout le visage. Constamment vêtu de noir, il persistait à porter le deuil de sa femme, six ans après sa disparition. Il avait trente-deux ans.
    Gui avait acheté, deux ans auparavant, la petite boutique située via delli Giudei. Il logeait dans une chambre située à l’entresol, ne souffrant auprès de lui qu’une vieille domestique nommée Viola qui s’occupait chaque matin de son linge et de ses repas. Sainte femme qui supportait les humeurs d’un homme toujours perdu dans des combinaisons mentales et qui s’emportait au moindre dérangement.
    Il ne sortait de chez lui que pour aller enrichir ses enquêtes de nouveaux indices. Il se levait avant le jour, allumait une forte quantité de bougies, car il détestait la pénombre qui fatiguait ses yeux, se chauffait du vin sur un poêle (même en été, Bénédict buvait journellement son demi-pichet) puis commençait de réfléchir sur le dernier cas qui l’occupait.
    En cette aube du 9 janvier 1288, alors qu’il déverrouillait sa porte d’entrée, il aperçut la silhouette d’une jeune fille, qui attendait de l’autre côté de la rue, en plein froid, contemplant ses pieds et ne remuant que ses lèvres.
    Gui retourna à sa table de travail. Plusieurs fois il releva la tête de son écritoire, et plusieurs fois il vit la jeune fille qui n’avait pas quitté sa place.
    Il décida de raviver son poêle et de chauffer un broc de lait. La demie d’une heure passa et la jeune fille se décida enfin à heurter à sa porte.
    L’enfant n’avait pas quinze ans. Vêtue de haillons, elle avait le teint pâle, des petits yeux fatigués, des cheveux châtain foncé et une silhouette fluette, presque maladive.
    Il la fit asseoir, jeta sur ses épaules une couverture de laine et lui servit un bol de lait fumant.
    La petite paraissait très émue de se tenir devant lui :
    — Je suis désolée de venir vous déranger, maître !…
    — Ne dis pas cela. Tu dois avoir une bien bonne raison pour oser franchir ma porte après tous ces atermoiements. La plupart des gamines comme toi finissent par s’enfuir. Ce motif, maintenant que nous y sommes, je souhaite vivement le connaître. Quel est ton nom ?
    — Zapetta. Je suis la fille de Simon l’ébéniste et d’Emilia la dinandière. Nous logeons via Regina Fausta, derrière les bains de
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