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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal
Autoren: Romain Sardou
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Artémidore de Broca
et la putain de Satan
    En ce 12 décembre 1287, cela ferait bientôt neuf mois que le trône du pape était vacant ; les cardinaux électeurs réunis en conclave ne parvenaient pas à s’entendre sur le nom du successeur d’Honorius IV, mort au mois d’avril.
    Cette absence prolongée de souverain pontife à Rome n’était pas un phénomène rare. Dans le passé, des « interrègnes » de ce type avaient parfois duré trois années et plus. Les destinées de l’Église tombaient alors aux mains d’un collège restreint de membres de la curie qui expédiaient les affaires courantes dans l’attente de l’élection.
    Ce collège était régi par le grand chancelier et maître du sacré palais, Artémidore de Broca.
    Connu dans sa jeunesse sous le nom d’Aures de Brayac, soldat émérite de la septième croisade, aujourd’hui âgé de plus de quatre-vingts ans, le vieux cardinal appartenait à la chancellerie du Latran depuis 1249. Dans l’intervalle, il s’était plu à devenir le confidentissime de onze papes, sans que jamais son empire sur la curie soit remis en question.
    Ce fils de boucher, fou d’orgueil, pétri de ruse et de patience, se fiant uniquement à son propre génie, était reconnu pour être l’« homme fort » des interrègnes ; il cumulait six années complètes où Rome, publiquement privée de chef, s’était trouvée sous sa seule domination.
    Tous prétendaient qu’il avait maintes fois refusé de ceindre la tiare papale ; cela en disait long sur le poids qu’il accordait à son titre de chancelier et à sa conviction éprouvée de détenir le véritable pouvoir à Rome.
    Ses rivaux avaient renoncé à le déstabiliser ou à l’assassiner ; il avait déjoué toutes leurs tentatives. Même les plus farouches en étaient réduits à attendre sa mort ; trépas qui se refusait à eux, malgré les mille troubles que l’âge lui faisait éprouver.
    Le peuple de Rome ignorait les turpitudes de cet ancien soldat converti en cardinal ; pour lui, Artémidore restait le prestigieux Aures de Brayac, héros de la bataille de Mansoura.
    Ces jours-ci, de quoi s’indignaient-ils, les Romains ? Du froid qu’il faisait et de la neige qui tombait, des taxes qui grevaient le prix du boisseau de blé, de la fin d’une contrebande de vin avec Chypre qui les privait de Malvoisie, de l’affluence de pèlerins qui accaparaient leurs meilleurs produits, des porteurs d’eau qui refusaient de travailler sous le gel, enfin du froid qu’il faisait et de la neige qui tombait…
    De l’absence de souverain pontife ?
    Pas un mot.
    Des délibérations du conclave qui s’éternisaient ?
    À peine plus.
    Les Romains étaient accoutumés à ces « interrègnes », persuadés que l’Église, comme l’Empire autrefois, était un géant qui réussissait toujours à se mouvoir, même la tête coupée.
    Artémidore de Broca y veillait.
    Sa chancellerie se situait au Latran, résidence des papes depuis l’an 313. Ancien palais romain cédé à l’Église par l’empereur Constantin, il jouxtait la basilique Saint-Jean et dominait une place toujours populeuse. Le Latran était le siège de la chrétienté apostolique.
    Le cabinet d’Artémidore y occupait une vaste pièce aux murs ornés d’armes et d’écus, de figurines émaillées et d’étendards conquis sur les champs de bataille. Rien de ce qui devait être le cadre apparent d’un grand personnage de l’Église ne se retrouvait.
    Le vieil homme était assis derrière sa table de travail sur laquelle s’entassaient les missives secrètes d’États et les bulles pontificales.
    Gras, vêtu d’un épais manteau fourré d’hermine, le col chargé de chaînes d’or, Artémidore avait la peau durcie et verdie de bile, le menton enseveli sous les chairs du cou, de profondes rides autour des yeux, le crâne chauve ; il était difficile d’imaginer que ce vieillard affaibli disposât encore du moindre pouvoir au sein de l’Église.
    Un homme jeune se tenait debout devant lui.
    Fauvel de Bazan.
    Secrétaire particulier, fourbe, séduisant et terrible, paré comme un jeune prince, Bazan était l’œil d’Artémidore là où il ne pouvait pas voir, son oreille derrière les murs et bien souvent la voix de sa conscience.
    À sa gauche attendait une femme. Grande et magnifique, le visage encadré par une coiffe de satin blanc qui voilait ses cheveux et ses oreilles, le corps admirablement tenu dans une longue robe
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