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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal
Autoren: Romain Sardou
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vaticinait sur la probabilité de se faire renaître lui-même après sa mort, de ramener un pape à la vie après un assassinat, de restituer au monde les plus hautes figures des saints. Et même, projet ultime, de provoquer la renaissance terrestre de Jésus-Christ !
    Les deux moines étaient terrifiés devant tant de blasphèmes.
    — N’êtes-vous pas un peu absolu, mon père ? osa interroger l’un d’eux.
    Profuturus sourit, l’œil éclatant ; obnubilé et inspiré par son mauvais génie, il n’entendait, ne voyait et ne saisissait que ce que sa démence lui inspirait.
    — Depuis Moïse et Jésus, répondit-il, ne savons-nous pas que l’Histoire a un sens ?
    Il s’immobilisa devant ses vitraux par lesquels tombaient les rayons pâles de la lune, accrochant dans leur chute les remparts du monastère et les jardins des cloîtres.
    L’abbé poursuivit :
    — Pendant des siècles, lorsque les hommes mouraient des maux de la mélancolie, c’était le projet de Dieu. Et lorsqu’un jour, l’un d’eux découvrit les vertus consolantes du millepertuis et les sauva de leur tristesse, c’était encore dans le projet divin ! Dieu fait un jour le malade, un autre le médecin. Rien n’existe en ce monde hors de son projet. L’homme s’est de tout temps trouvé démuni face à la mort, mais voilà qu’avec moi, aujourd’hui, il peut se libérer de ce joug. Ma place est clairement désignée dans le sens de l’Histoire !
    Son ton de voix avait forci, son débit de paroles aussi :
    — Jésus a été crucifié de la main des hommes. Il a promis son retour sur terre pour nous délivrer du Mal. J’ai bonne opinion que Dieu veut que ce soient ses bourreaux eux-mêmes qui rendent au Christ son enveloppe de chair ! C’est à nous qu’il revient de racheter l’affront de la Croix ! Dieu nous a donné son Fils, nous allons le Lui rendre ! Mon expérience de résurrection nous ouvre les portes de cette prouesse. Ce n’est qu’un préambule. Viendra le jour béni où d’un peu de sang, d’une simple dent de lait, d’une quelconque relique authentique, nous pourrons refaçonner un disparu et rappeler son âme !
    Profuturus délirait.
    Le même moine qui l’avait déjà questionné, récidiva :
    — Si telle n’était pas la volonté de Dieu, si vous n’étiez qu’un nouveau Sisyphe courant après Thanatos, n’encourrions-nous pas la plus redoutable de Ses colères ?
    L’abbé ne daigna pas se retourner ; il leva les bras au ciel, comme un hiérophante, mais alors qu’il s’apprêtait à répondre, une gigantesque boule de feu, tombée de la nuit, fit voler en éclats ses vitraux et le faucha avec une force prodigieuse.
    D’autres foyers explosèrent en même temps dans tout le monastère, comme s’il s’agissait d’une réplique de Dieu à l’intolérable hardiesse de Profuturus.
    Le monastère Albert-le-Grand s’embrasait.
    Les hommes d’Isarn, répartis aux points clefs tiraient des flèches enflammées sur leurs tonnelets de salpêtre et de bitume. Les barils s’éventraient dans une puissante explosion et pulvérisaient leur liquide incendiaire, n’épargnant rien ni personne.
    La panique saisit les moines.
    Les appels d’un buccin sonnèrent l’alerte.
    Le feu naissait de tous les coins.
    On savait ici que le seul mal que pouvait craindre la forteresse viendrait de l’intérieur.
    Des moines se précipitèrent pour atteindre les remparts et monter sur les monte-charge, seules issues possibles. Mais ceux-ci, dès qu’ils se furent trouvés dans le vide, accrochés à leurs puissants madriers, s’écroulèrent d’un coup, se fracassant au sol avec tous leurs occupants !
    Isarn avait fait rogner les chaînes qui servaient à contrebalancer le poids du mécanisme.
    Les habitants du monastère étaient prisonniers des flammes.
    Certains se ruèrent vers la trappe de fer par laquelle on éjectait les cadavres éviscérés des chirurgiens : ils se lancèrent dans les airs pour échapper aux flammes et se rompirent les os.
    À l’étage où se trouvaient les chambres des enfants miraculeux, surgirent Isarn et ses hommes, l’arme au poing, décimant les gardes qui n’avaient pas fui devant les flammes.
    Isarn emboutit les portes, supprima ceux qui se dressèrent sur son passage, pour enfin retrouver la petite Agnès.
    — Ma fille !
    Il la serra dans ses bras.
    — Nous devons partir tout de suite !
    Mais Agnès le retint.
    — Pas sans mes amis, dit-elle. Il
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