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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal
Autoren: Romain Sardou
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moines.
    L’élévation complète du chargement exigea cinq voyages.
    Arrivé au sommet des remparts, Isarn ne quitta pas des yeux le père abbé, qui tremblait pour sa vie.
    Les moines et les caisses de livres furent conduits dans les sous-sols de la grande bibliothèque du monastère.
    Là, Isarn ordonna d’ouvrir les caisses de bois.
    Le père abbé fut stupéfait : en lieu et place des grimoires et des livres qu’il avait fait charger à Antioche, ils découvraient des tonnelets remplis de bitume et de salpêtre, hautement inflammables. Il s’en comptait des dizaines ; en suffisance pour réduire le monastère en cendres !
    — Maintenant, le somma Isarn, si tu veux vivre, aide-nous à trouver où sont cloîtrés les enfants !

C HAPITRE 21
    Les tourmenteurs avaient libéré Bénédict Gui de sa table de torture, quatre-vingt-seize heures après le début de son calvaire, considérant cette durée suffisante pour atrophier son esprit. Tous les essais pratiqués sur la victime étaient concluants : Gui avait perdu l’usage d’un œil, il ne savait plus ni parler ni marcher et se tenait péniblement debout. Agité de spasmes et de contractions nerveuses au visage, il avait perdu jusqu’au souvenir de son nom et ne savait plus que se ruer sur la nourriture qu’on lui jetait.
    Après la séance de torture, il avait été conduit dans une petite cellule des geôles de Matteoli Flo.
    Il dormit plusieurs jours d’affilée.
    Trois semaines après son supplice, son état ne s’était pas amélioré ; on vint alors le chercher.
    Gui restait muet, le regard hagard, réagissant à peine aux mots et aux bruits qu’il entendait. Deux gardiens l’empoignèrent comme s’il n’eût été qu’un objet ou un animal mort. Ils le tramèrent dans un couloir.
    Bénédict allait être présenté devant un tribunal de basse justice ecclésiastique.
    Ses rares pensées ne constituaient plus qu’un magma informe, se remployant sur lui-même dans le vide.
    Toutefois, à la différence de tous les autres suppliciés qui avaient enduré le même traitement que lui, son cerveau ne s’était pas définitivement arrêté de fonctionner ; plus exercé que la grande majorité des hommes, plus preste et vigoureux que la moyenne de ses semblables, il perpétuait son agitation nerveuse, emporté par son propre mouvement d’inertie, mais privé de toute cohésion.
    Les gardiens déposèrent Bénédict sur un banc dans le vestibule en attendant l’arrivée de la charrette qui les conduirait au tribunal. Durant l’attente, une femme entra ; elle apportait des linges maculés de sang et de chairs qui servaient à nettoyer les ustensiles de torture de Matteoli Flo, et ouvrit une trappe plongeante où elle les fit disparaître.
    De là surgit la première impression familière de Bénédict depuis des jours et des jours, le premier souvenir précis.
    Une odeur.
    Une odeur d’eau.
    Une odeur éveillait confusément un pan de sa mémoire.
    Pendant un instant, il se figea. Ses geôliers ne s’aperçurent de rien, moins encore de son œil valide qui scintillait, scrutait la pièce en tous sens.
    Pour eux, Gui était aussi inoffensif qu’un enfant qui vient d’apprendre à faire deux pas, et lorsque le prisonnier montra des velléités de se mettre sur ses pieds, ils étaient prêts à s’esclaffer en le voyant s’effondrer débilement.
    En effet, Bénédict roula à terre, mais sans tomber ; il glissa, se contorsionna, les membres désaccordés, puis s’approcha de la trappe.
    Là, d’un bond rapide, il disparut dans l’horrible conduit qui tombait d’aplomb.
    Les gardes n’eurent pas le temps de se dresser que le corps de Bénédict Gui avait déjà été recraché, six mètres plus bas, dans les eaux puantes du Tibre.
    Ils se précipitèrent à l’extérieur du bâtiment de Matteoli Flo pour tâcher de distinguer le corps à la surface et de le suivre pour le récupérer, mais celui-ci avait sombré et disparu…
    — C’en est fait de ce fou. Il est noyé.
    Au monastère Albert-le-Grand, l’abbé Profuturus échafaudait des théories folles et novatrices, nées de la réussite de son expérience sur la dépouille du père Aba.
    La nuit était tombée sur la forteresse.
    Dans son bureau au grand vitrail, deux moines fixaient par l’écriture son flot de paroles ; depuis près de trois semaines, il se sentait comme investi d’une mission céleste.
    — Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère !
    Il
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