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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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costard, que je ne saurais endosser en pue-la-sueur. D’auto, je fonce à la piscine Hébert.
    *
    Inchangée cette piscine. Il y flotte toujours l’odeur composite des corps peu lavés, des savonnettes bon marché, de l’eau de Javel additionnant l’eau du bain. Identique est son acoustique, un brouhaha d’appels, de rires, de flocs des plongeons maladroits, de coups de trompe du maître baigneur annonçant un changement de caleçons, d’engueulades du même, interpellant les tricheurs entêtés à demeurer dans le bassin alors que le temps qui leur est accordé se trouve écoulé. Tous ces bruits fondus, répercutés et comme amplifiés par la verrière couvrant la bâtisse.
    Une différence pour moi, cependant, aucun de mes familiers de la rue Riquet n’est en vue. Mon frangin André, j’étais certain à l’avance de ne pas l’y rencontrer, et pas davantage Léo Petit, devenu chauffeur sur les remorqueurs de la Seine. À force de scruter le trèpe  [52] , je repère quand même un mec de connaissance : Jouillet, élève comme moi de la communale Torcy. Il appartenait alors, fatalité topographique, à la bande des Buzelins, clan longtemps opposé à celui de la rue Riquet. À ce titre, nous avions échangé quelques horions plus symboliques que douloureux, et je ne pouvais croire qu’après tant d’années il put encore nourrir de la rancune. Néanmoins, je restai quelques minutes à l’observer, un peu jaloux de son style de nage et de son aisance au plongeoir du grand bain, dans lequel je n’aurais osé m’aventurer. Comme je m’avançais, ce fut lui qui me reconnut, vint à moi, la main tendue, la tronche barrée d’un large sourire, assez parent de celui de petit Raymond lorsqu’il avait en tête de séduire.
    — Albert !… Je suis content de te rencontrer ! il m’affirme… Je t’ai aperçu l’autre jour !… Ça a l’air de marcher pour toi ?… T’étais méchamment sapé !
    Nulle trace d’ironie dans le compliment : c’est le charme Nadler qui opère. Je le bénis muettement le vieux bouc ! Pas installeur, je conserve une attitude modeste, que le port de mon petit caleçon de bain de toile imposerait presque. Mon pote – je l’intègre dans cette catégorie —,    insatiable, veut tout connaître de ce qu’il estime être mon embellie. Incertain encore de mon avenir, et incapable de bâtir sur-le-champ une fiction réservant le futur, j’élude par un petit coulé dans le bassin. Émergeant, je fixe rencart à Jouillet. Nous nous retrouvons au grand café de la place Hébert, histoire d’arroser notre rencontre.
    *
    Mon nouveau pote n’a pas de commun avec petit Raymond que le sourire. Une même vitalité, sans doute irrépressible, les distingue de mes commensaux habituels, une façon d’être perpétuellement sous pression, presque offensive, qu’on qualifiera beaucoup plus tard de « dynamique ». Gandin lui aussi, le Jouillet, mais dans un style plus souple que lui confère sa démarche dansante ; pas emprunté non plus pour balancer aux mignonnes passantes le vanne coquin, qui semble plaire, vanne ponctué d’un coup de chapeau, le canotier, dit « pailleux », qui se porte cette année épais et ceint d’un large ruban bicolore. Il le porte, ce bada, incliné sur l’œil, à l’instar de Maurice Chevalier, dont je n’ai encore vu la frime que sur les affiches, mais dont, je le constaterai plus tard, le Jouillet copiait jusqu’aux attitudes, déhanchements, pas glissés, avancée du cou, jouant au mieux de la longueur de ses jambes. Il m’en fera, l’après-midi même, une démonstration de l’avantage de la patte échassière sur la gambette courte dans la pratique de la danse. À Tabarin, où il m’a entraîné, pour mon émerveillement. Ça c’est un guinche ! Deux orchestres s’y relaient un jazz à dominante de cuivres pour les fox, le one-step, les paso doble, la matchiche ; un quatuor, bandonéon, contrebasse, violon, cymbalum, exécutant tangos, valses lentes, javas. Je mets une bonne demi-heure avant de songer que je pourrais inviter une nana, le temps de m’accoutumer au décor somptueux, de repérer les bonnes gambilleuses, de frimer de biais les fresques décorant le bar. Pas question de picoler ici, Jouillet m’a averti, le moindre godet coûte une thune. Mis au fait de ma faiblesse en monnaie, une fois l’entrée et le vestiaire casqués, il a décidé, toujours jovial :
    — On fait flanelle  [53]  !… Si on
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