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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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J’allais avoir à débiter suffisamment de mensonges, pour m’épargner d’en accabler aussi notre pauvre malade sur l’origine de ces fringues pour lui insolites.
    Gonflé d’une bouffée d’optimisme, je fendais la bise, qu’on me croie, pour rejoindre petit Raymond devant le porche du 3 de la rue Saint-Georges, où M. Picot exerçait son négoce. J’y fus promptement, appréciant à l’avance la proximité de la station Notre-Dame-de-Lorette, desservie directement par le Nord-Sud, depuis celle de Torcy, en quelques minutes. Je m’enchantais aussi du mahousse ascenseur hydraulique hissant vers le quatrième étage, avec une majestueuse lenteur, la cabine de boiserie aux vitres biseautées, allure commode pour ressaisir mes idées, repasser en mémoire les très imaginaires références que j’allais fournir à mon futur boss.
    D’accord avec Raymond, nous avions mis au point une fiction des plus plausibles où les quelques points approchant la vérité recevaient de rudes entorses ; les mensonges les plus effrontés étant, bien sûr, invérifiables. Redoutant quelque fausse note dans l’énoncé de ce qui ne se nommait pas encore le « curriculum vitae », Raymond avait pris les devants et déjà, à l’improvisation, tracé pour M. Picot, de mézigue et de ma famille, un portrait des moins ressemblants. Mon papa y devenait un petit industriel de la fleur artificielle dont l’affaire périclitait. J’étais orphelin de mère, et peu doué pour l’étude, brûlait d’apprendre un métier nécessairement fructueux !
    La porte de l’appartement nous fut ouverte par une bonniche disgracieuse et je pris contact avec la salle d’attente, vaste pièce coupée d’une cloison de bois garnie à mi-hauteur de verre dépoli, où s’ouvrait un guichet qui joua bientôt, démasquant un bonhomme trapu, rougeaud, les cheveux taillés en brosse, qui se borna à nous dire sans amabilité excessive, et plutôt à l’adresse de Raymond :
    — M. Picot va vous recevoir dans cinq minutes !…
    — Merci, monsieur Plassin !
    Raymond s’était levé, et la main tendue s’approchait du guichet, le sourire engageant. Mais déjà le guichet se refermait, j’avais eu le temps d’entrevoir un coffre-fort de belle taille, la porte bâillante. Haussant les épaules, Raymond me confia, un brin condescendant :
    — Fais pas attention… ce n’est que le comptable !… un vrai ours !…
    Heureusement pour mézigue que l’accueil réfrigérant du comptable avait démoralisé, M. Picot, le taulier, se trouvait d’humeur engageante. Nous ayant serré les paluches, il indiqua d’un geste à Raymond un fauteuil club de cuir fauve, puis passant à moi, me désigna un fauteuil placé derrière un grand bureau d’acajou, recouvert de drap de billard, bureau accolé à sa réplique, et derrière lequel, tout réjoui, cet étrange boss vint prendre place, m’expliquant :
    — Albert !… vous vous appelez bien Albert ?… Ce bureau sera le vôtre… nous travaillerons face à face !… ça sera plus commode !… rationnel… Que savez-vous faire ?…
    — Les pesées !… le une fois le poids !… assure Raymond, me devançant… Je lui ai montré…
    — Parfait ! Soyez pas timide, Albert !… Vous étiez dans l’exportation ? Une maison américaine ?… pourquoi l’avez-vous quittée ?…
    Une paralysie de la glotte me bloque la jactance : faut pourtant faire entendre ma voix. Je bonnis, m’efforçant de ne pas chevroter :
    — À cause de l’anglais… tout le monde le parle dans ces bureaux… j’ai bien essayé d’apprendre, je ne parviens pas à attraper l’accent !…
    Il se marre, M. Picot.
    — Chez moi, c’est sans importance, vous n’aurez pas à en user… Je dois vous avouer que je n’ai jamais pu moi-même prononcer cette langue correctement !
    Cette façon de me mettre à l’aise me stupéfie. Aucun des tauliers que j’ai pratiqués jusqu’alors n’avait cette mesure obligeante dans le propos. J’en prends brusquement honte de lui raconter des salades, non sans persister à le trouver étrange, ce gonze. C’est la manière dont il est sapé qui m’éberlue : culottes de golf sur des bas à losanges, grosses pompes et veste ample de « tweed », tissu qu’on ne saurait encore nommer dans mon faubourg. Je comprendrai plus tard qu’il se rendait ce jour-là au golf de Saint-Cloud. Pour l’instant, question embauche, ça me paraît enfouillé, pour
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