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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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le vanne. D’accord en cela avec le mahousse M. Pierre, le chef chasseur pointilleux, Raymond devait me trouver un genre déplorable ! Au risque de me braquer, il n’en fit pas mystère, s’attachant cependant à rendre ses critiques supportables, mettant à l’avance sur le compte de préjugés d’étrangers assimilant mal la vie parisienne ce qui pourrait dans mon allure actuelle les surprendre ! les heurter même !
    Était-ce une fois encore ma foutue façon de jacter qui allait m’éliminer ? Sur ce point, Raymond me rassura.
    — Des accents, tu vas en entendre des plus étranges dans le métier ! turc !… arménien !… russe !… égyptien !… allemand !… roumain !… hindou !… anglais aussi, évidemment !… Non, crois-moi, tu passeras inaperçu… D’ailleurs M. Picot est français… un des rares négociants à l’être ! Non, ce qui me préoccupe, ce serait plutôt… ta présentation !
    Savoir que ma jactance se trouvait pas en cause me remettait du baume au cœur. J’esgourdai donc paisiblement, et y eus quelque mérite, mon amour-propre se trouvant agressé sur trop de points. Je résume. Mon costard du père Blum est un peu trop cintré à la taille pour le veston, quant à son bénard, patte d’éléphant au bas, il ne peut convenir que pour une danse apache !… Mes mignonnes targettes vernies à tiges claires, parfaitement assorties à ce pantalon me dénonceraient, elles, comme vivant à Marseille de l’exploitation des charmes de quelque dame !… Ma coiffure en paquet de cinquante  [43] et boule rasée est aussi à revoir, seuls des marlous attardés la portant encore ! Pour le couvre-chef, la gâpette est rigoureusement à bannir, au profit du chapeau !
    Ayant, en deux coups les gros, exécuté ma garde-robe, Raymond conclut, réjoui :
    — Il nous reste un bon mois pour mettre tout ça au point !…
    — Avec quoi ? je rétorque… T’as des sous, ça te paraît facile… moi, je suis raide… et pas même capable de payer cette tournée… alors pour le costard !…
    Là, il se tire-bouchonne, la petite vache, ayant tout prévu. Redevenu sérieux, il m’explique :
    — Te bile pas pour si peu… Le tailleur, tu le paieras à ta convenance… sur tes premiers courtages !… Je répondrai pour toi !… Moi, je lui donne un peu d’argent tous les six mois… L’important, vois-tu, n’est pas d’avoir du numéraire, dès l’instant que tu as du crédit et de l’Avenir !
    *
    Mon Avenir ! Au vu de l’acharnement mis par Raymond à ma métamorphose, j’étais bien enclin à y croire. L’épreuve du tailleur, que j’avais appréhendée comme un cauchemar, avait eu lieu sur un tempo allègre, tout à fait conforme au dynamisme irrépressible du Raymond, dont, je devais le constater par la suite, se trouvaient bénéficier toutes ses entreprises, qu’elles fussent commerciales, amicales, ou amoureuses. La prise des mesures – nouvelle pour moi –, le choix des tissus, celui d’un modèle, furent expédiés dans un mouvement souple, dans la foulée pourrais-je dire, sans que le père Nadler se hasarde à l’outrecuidance d’un prix, et pas davantage à l’allusion d’une date d’échéance. Je le trouvais très chouette, ce vieux gonze : rien à voir avec le père Blum, si ce n’est l’accent yiddish, identique chez tous deux.
    Ces formalités expédiées, j’aurais volontiers pris le large ; Raymond ne l’entendait pas ainsi. J’eus à peine l’intention de m’en défendre, que le petit lutin m’avait passé commande d’un pardessus. Nous ne devions pas, prétendait-il, nous laisser bluffer par le beau temps persistant de la saison : l’automne serait vite là, puis l’hiver et ses frimas. Le père Nadler acquiesçait, riant dans son bouc. Le labeur ne paraissait pas le rebuter, ce gonze. À telle enseigne qu’il s’offrit, lors du premier essayage, à me couper trois chemises dans une popeline anglaise des plus avantageuses, qu’un mataf lui ramenait en contremouche. Raymond, qui avait tenu à m’assister, fut d’avis de ne pas laisser échapper cette bonne allure. Il n’était toujours pas question d’argent, et je commençais à paniquer. Mon engagement pour ce M. Picot pouvait se trouver mythique ?… Je pouvais ne pas plaire !…
    Le Raymond s’était, dans le dégrénage de mes fringues, montré si persuasif, que je commençais à ne plus pouvoir piffer ces harnais  [44] compromettants. Dans la

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