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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle
Autoren: Albert Simonin
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de pot qui m’était coutumier, le bienveillant M. Picot allait tomber au téléphone sur la salope de secrétaire qui avait engourdi le napperon de dentelle ! Trop heureuse, la morue, de l’occase de renforcer mon auréole de petit pégriot pervers : qu’est-ce qu’elle débagoulerait pas !… Je voyais la scène très clairement, dans le décor de boiseries du standard-dactylo, la vipère au bigophone. Ça ne pouvait être qu’elle, la rouquine qu’avec Eugène l’emballeur nous nommions, en charre  [50] , « la Joconde ». Aussi clairement que si je m’étais trouvé dans la pièce, je pouvais presque reconnaître sa voix, son timbre doucereux, avec une vibration presque passionnée pour détailler mes turpitudes. En renfort de mon adresse à subtiliser les échantillons, j’avais d’abord été suspecté de faucher du pognon dans les sacs à main laissés par les filles dans leur vestiaire ! Ces larcins auraient cessé dès mon départ ! alors ?… Par contre, je n’imaginais pas M. Picot esgourdant ces infamies, sans doute faute de me souvenir assez clairement de la disposition de son bureau. Il me venait, de ces plages trop fréquentes de pessimisme, une inquiétude sur l’équilibre de mon cigare. Rien de plus duraille à combattre que les phantasmes. Je m’y essayais par moments, plaidant contre : depuis mon éjection honteuse de ce bureau Eaton, bien de l’eau avait coulé sous les ponts !… « la Joconde » n’y bossait sans doute plus !… Il m’apparaissait aussi improbable dans ces périodes de purge de ma pensée que ce fût précisément sur l’appareil de cette traîtresse – chaque secrétaire ayant le sien – que vint tinter l’appel de M. Picot !… Néanmoins, l’impression fâcheuse persistait, mêlée à d’autres contingences prosaïques dont la moindre n’était pas mes échecs dans la recherche d’un boulot me permettant d’atteindre, quelques fifrelins en fouille, le début de septembre. Coup malheureux, je ne parvenais qu’à dégauchir de brèves corvées dans le voisinage, ma présence quasi constante au chevet de notre père, réclamée par son état précaire, m’interdisant toute recherche hors de la proximité de notre cabane. Les deux derniers jours de cette foutue semaine, je les passais presque totalement dans la cave du café-tabac, dont la porte de service débouchait au pied de l’escalier desservant notre canfouine. La veuve du brave Joseph, tué à Maubeuge dès les premiers jours de la guerre, venait de céder son fonds et j’avais traité avec le nouveau propriétaire pour le tri et le nettoyage d’une masse de bouteilles, empilées en vrac, à raison de cinq francs, une thune, par cent flacons rincés, récurés, prêts enfin pour le soutirage d’une pièce de deux cent vingt litres, récemment livrée.
    Passé un démarrage assez lent, amené à la fois par la destruction des toiles d’araignées, un saut toutes les heures au chevet de mon père, et la recherche d’une technique rationnelle de la manœuvre du goupillon, suivie d’un double rinçage, je parvins à une économie de gestes, une prise des doigts sur le verre mouillé, tout à fait acceptable. Le nouveau manzingue  [51] m’avait bien autorisé, me munissant d’un verre, à tirer d’un fût entamé autant de coups de blanc qu’il serait nécessaire pour étancher ma soif. J’en usai modérément, crainte de me poivrer. Les mains glacées par la flotte, les reins moulus, je me retrouvai sur le coup de sept plombes, ayant opéré trois cents bordelaises, cent champenoises, et plus riche de vingt balles.
    Le lendemain, qui se trouve être un samedi, s’avère moins fructueux. Dans ma hâte à faire tomber l’osier, j’ai, à une centaine de litrons près, épuisé le stock de boutanches à traiter. Je les expédie à une cadence accélérée dans la matinée même ; ce qui fait augmenter ma masse de manœuvre d’une bonne thune. Vingt-cinq balles en fouille !… pareil pactole ne m’est advenu de longtemps ! Nul, frère, sœur, belle-sœur, papa même, ne sait que j’ai accompli cette corvée pour le troquet. La tentation me vient de n’en rien dire, et d’étouffer cette somme, trop modique me suggère ma malhonnêteté, pour figurer dans le budget Simonin, au titre d’apport de paye.
    Sans bien savoir à quoi je vais employer mon après-midi, me voilà pris d’un prurit d’hygiène, lié au projet subconscient de passer mon nouveau
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