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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Autoren: Alain Decaux
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lui avoue que le général Mori est mort.
    — Mort ? Qui l’a tué ? Pourquoi ? Je suis sûr que vous savez ! Parlez !
    On lui raconte tout. Voilà un rebelle fortement ébranlé. Il n’est pas le seul. D’heure en heure, Hatanaka sent diminuer son autorité non seulement sur les hommes de la Garde mais sur les mutins eux-mêmes.
     
    4 heures 30 du matin.
    Installé à une table basse, le général Anami et le lieutenant-colonel Takeshita boivent du saké. Quoique ne passant pas pour un grand bveur, cette nuit-là Anami a absorbé une grande quantité de l’alcool favori des Japonais. Par voie de conséquence, son beau-frère en a fait autant.
    Lorsque Takesthita a rejoint Anami, ce dernier était en train d’écrire. Spontanément, il lui a tendu deux feuilles d’un papier japon particulièrement épais. Sur la première, Takeshita a pu lire, tracées à l’encre de Chine de la main d’Anami, ces deux lignes :
     
    Comblé des bienfaits de mon souverain,
    Quelles paroles pourrais-je encore prononcer ?
     
    Sur la seconde feuille, trois lignes :
     
    Que la mort que je me donne
    Me fasse pardonner
    Mon crime suprême
     
    Suit la signature :
     
    Korechika Anami, ministre de la Guerre. Dans la nuit du 14 août 1945.
    Souriant, Anami a expliqué :
    — Je n’ai pas respecté la date prévue par moi… Nous sommes le 15 août, mais je mourrai aujourd’hui comme si c’était encore le 14… J’ai choisi la date anniversaire de la mort de mon père. Je ne pourrais supporter d’entendre la diffusion de la proclamation de l’empereur…
    Anami est allé chercher sur une étagère le texte de son testament de ministre de la Guerre et, imprégnant son pinceau d’encre de Chine, il a écrit au dos :
    « Je crois en la pérennité du Japon sacré et indestructible. »
     
    Une dernière tasse de saké. Anami se lève, s’en va détacher deux dagues anciennes pendues au mur. Un sourire à l’égard de son beau-frère :
    — J’ai une faveur à vous demander : si je ne réussis pas à me tuer du premier coup, voulez-vous me donner le coup de grâce ? Je ne pense pas, cependant, que ce sera nécessaire…
    Il sort l’une des dagues de son fourreau, passe le doigt sur le tranchant.
    — C’est de celle-ci que je me servirai.
    Il tend l’autre à Takeshita :
    — Conservez-la en souvenir de moi.
    Il remplit de saké leurs deux tasses vides.
    Takeshita croit le moment venu de lui faire part d’une nouvelle qu’il lui a cachée jusque-là.
    — Le général Mori a été assassiné.
    Tasse à la main, Anami s’immobilise, « comme changé en pierre ». Avec une tristesse infinie, il murmure :
    — Encore une chose à nous faire pardonner  (139) .
     
    5 heures du matin.
    Sur Tokyo l’aube se lève. Vers la résidence du ministre de la Guerre, une voiture roule à toute allure. Elle s’arrête brusquement devant le grand portail. L’uniforme et le visage trempés de sueur, le lieutenant-colonel Ida en jaillit. À son retour au palais et nonobstant son échec auprès de Tanaka, une nouvelle mission lui a été confiée : on l’a chargé de se rendre auprès du général Anami pour tâcher – la dernière chance ! – d’obtenir son concours. S’engageant dans les appartements du ministre, Ida voit paraître le lieutenant-colonel Takeshita qui, défiguré par la douleur, lui apprend que son beau-frère se prépare à mourir. Il guide Ida jusqu’à la pièce du fond. Sur le seuil, le rebelle s’arrête tout net en apercevant, torse nu, Anami à genoux sur des nattes. Ida confiera qu’il a tout aussitôt éprouvé « un sentiment de culpabilité à l’idée de la part qu’il avait prise aux événements de la nuit ». Il ne peut retenir ses larmes. Or une voix j oyeuse s’élève, celle d’Anami :
    — Soyez le bienvenu, Ida ! Entrez, je vous en prie !
    À pas mal assurés, Ida s’approche et tombe à genoux. Avec un sourire heureux, Anami l’interroge : que pense-t-il de sa décision de se faire seppoukou   (140)  ?
    — J’estime, balbutie Ida, que vous accomplissez là un noble geste.
    — Je suis heureux de recevoir votre approbation.
    Éclatant en sanglots, Ida murmure :
    — Je vous suivrai dans la tombe…
    — Ne faites pas l’imbécile ! lance Anami d’une voix tonnante.
    En guise de commentaire, il flanque deux gifles au lieutenant-colonel. À deux doigts de perdre l’équilibre, Ida garde quelques instants les yeux clos. Quand il les
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