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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Autoren: Alain Decaux
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I

Katyn ou le mensonge
    5 mars 1940
    À perte de vue, la neige. Revêtus de leurs capotes hivernales, les prisonniers polonais du camp de Kozielsk considèrent avec autant d’étonnement que d’amertume les champs immaculés qui s’étendent au-delà des limites qu’aucun d’entre eux, depuis novembre 1939, n’a le droit de franchir. Malgré les interdits de leurs gardiens, tous membres du NKVD soviétique, ils ont célébré Pâques avec leur aumônier. Faut-il maintenant qu’ils soient privés de printemps ? Certains prisonniers tiennent des agendas. L’un d’eux, à la date du 9 avril 1940 : « Mardi. Aujourd’hui, même temps qu’en hiver… Champs couverts de neige…»
    Qui, des cinq mille officiera polonais prisonniers à Kozielsk, pourrait oublier ? Ils ont été mobilisés pour faire face à l’agression allemande du 1 er septembre 1939. Ce jour-là, Hitler a jeté dans la bataille cinq armées allemandes fortes de quarante divisions blindées. Appuyées par de foudroyantes attaques aériennes, elles ont, face aux quarante divisions polonaises – dont aucune entièrement blindée –, déclenché la « guerre éclair ». L’Histoire a retenu l’héroïsme des Polonais mais que pouvait-on espérer d’un combat à ce point inégal ?
    Le 17 septembre, une nouvelle inouïe : l’Armée rouge a franchi la frontière russo-polonaise aux cris de Na Germantza (sus aux Allemands) ! D’abord on s’est émerveillé. Les Soviétiques ont été accueillis comme des libérateurs. Un témoin se souvient : « On partagea le pain et on leur offrit des pommes. » Le général polonais Olszyna-Wieczynski, commandant le district militaire de Grodno, a ordonné à ses troupes de faciliter l’avance de l’Armée rouge. Il s’est avancé lui-même au-devant d’une unité soviétique. Résultat : « Il fut arraché du siège de sa voiture, placé contre une porte de grange et abattu par balles. »
    L’illusion s’est vite évanouie. Après avoir signé le pacte germano-soviétique avec Hitler, Staline voulait sa part du gâteau. Dès lors, c’en a été fini de la Pologne. Les deux dictateurs se la sont partagée allègrement. Le 22 septembre, à Brest-Litovsk, les armées des deux vainqueurs défilent devant les généraux Guderian et Krivocheine qui, côte à côte, arborent le même sourire. Bientôt chacun emmène chez soi ses prisonniers. Ceux qui sont tombés aux mains des Soviétiques – 230 000 – garderont toute leur vie le souvenir, triste comme la mort, du trajet accompli : « On nous fit faire des marches forcées de trente kilomètres sans nous reposer, ni boire. Les plus faibles recevaient un coup de crosse qui les faisait tomber. S’ils ne pouvaient se relever, ils étaient transpercés d’un coup de baïonnette. »
    De ce lamentable troupeau, le NKVD a été chargé de faire le tri : on a mis à part les officiers, les fonctionnaires, les propriétaires terriens, les industriels, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison et ceux que l’on a identifiés – en vertu de quels critères ? – comme « espions et agents de renseignements ». On les a internés dans trois camps : 5 000 à Kozielsk, 4 000 à Starobielsk, 6 500 à Ostachkov.
    Au printemps 1940, ils s’y trouvent toujours.
     
    Au temps des tsars, Kozielsk était un monastère. Les prières des moines semblent maintenant remonter à la nuit des temps. Derrière les barbelés rongent leur frein 4 généraux, 1 contre-amiral, environ 100 colonels ainsi que 300 commandants, 1 000 capitaines, 2 500 lieutenants et sous-lieutenants et plus de 500 aspirants. La moitié de cet effectif est composé d’officiers de réserve : 21 professeurs agrégés d’université, plus de 300 chirurgiens et médecins, plusieurs centaines de magistrats et d’avocats, plusieurs centaines de professeurs de lycée, nombre de journalistes, d’écrivains, d’industriels, d’hommes d’affaires, etc  (1) .
    Dans l’ancienne église orthodoxe comme dans les autres bâtiments du monastère, les prisonniers s’entassent sur des châlits à cinq couchettes superposées. Nourriture insuffisante, hygiène déplorable, possibilités de blanchissage quasiment inexistantes, poux dont nul ne peut venir à bout : tel est leur lot. Malgré tout, ils restent optimistes. Ils se refusent à imaginer que l’Allemagne haïe puisse gagner la guerre. Un lien puissant les soutient : leur foi religieuse. Depuis le
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