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Carnac ou l'énigme de l'Atlantide

Carnac ou l'énigme de l'Atlantide

Titel: Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
Autoren: Jean Markale
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semblait se plaire à
prendre la pose. Et surtout, merveille des merveilles, le « barde Sterden
Breiz-Izel (Étoile de Basse-Bretagne) prenant ses inspirations au bord de la
mer ». Cela représentait un homme dans la pleine force de l’âge, moustachu,
coiffé d’un chapeau à guides, portant un gilet qui devait sentir la naphtaline,
la jambe ployée, le pied reposant sur un rocher, avec, par derrière, les vagues
de la mer déchaînée. Malheureusement, vers le bas de la photo, on discernait
nettement la ligne qui démontrait qu’il s’agissait d’une toile servant
de décor et que le « barde » était tout bonnement en train de prendre
la pose – quelle fière allure avait-il… – dans l’atelier du photographe. Il y a
là de quoi rire, et même de s’esclaffer. La Bretagne traditionnelle serait-elle
surgie droit des ateliers de photographe et du délire des intellectuels du XIX e  siècle , du
genre de Hersart de La Villemarqué ou d’Émile Souvestre ? Le carton-pâte
et la toile dessinée seraient-ils plus solides et plus efficaces que les
rochers de granit sur lesquels tant de bateaux se sont brisés au cours des âges,
provoquant du même coup une floraison de pilleurs d’épaves, notamment dans le
Pays Pagan, c’est-à-dire sur les côtes du Nord-Finistère, là où le vent et la
mer se liguent réellement pour arracher à la terre ses moindres promontoires ?
J’ai peur d’avoir parfois succombé à ces visions folkloriques de la Bretagne. Mais
je sais maintenant que la Bretagne est autre, sans doute plus décevante pour l’amateur
de pittoresque, mais bien plus belle pour celui qui la reçoit profondément, telle
qu’elle est, dans son cœur.
    Je parcourais donc la Bretagne des landes et des rivages, en
ce temps-là, en compagnie de Claire qui, n’étant point bretonne, n’avait pas
les mêmes raisons que moi d’en rechercher l’essence, mais qui ouvrait de grands
yeux admiratifs sur tout ce que nous découvrions. Notre jeunesse nous servait
de bâton de pèlerin. Notre enthousiasme se marquait par des marches folles où
nous nous épuisions. Mais nous étions heureux. L’odeur du cidre, encore servi à
la bolée, le goût du beurre salé sortant de la baratte des fermiers, la fumée âcre
des souches d’ajoncs qui brûlaient dans l’âtre, les petits chemins de fer à
voie étroite qui sillonnaient encore le pays, crachant leurs escarbilles sur
les talus qui brûlaient, les autocars bringuebalant sur des routes criblées de
nids de poules, l’odeur tenace du goémon séchant sur la grève, tout cela
réveillait en nous le désir de plonger dans la nuit des mémoires oubliées. Et l’ombre
de sainte Anne berçait nos songes.
    Car sainte Anne était intensément présente dans nos pérégrinations
sur les routes de la Bretagne. Ma grand-mère m’avait tellement parlé de celle
qui avait tenu la Vierge dans ses bras, elle m’avait tant décrit le sanctuaire
de Keranna, c’est-à-dire de Sainte-Anne-d’Auray, que ce personnage mystérieux
avait pris corps en moi, comme le double mystique de ma propre grand-mère. J’ai
su depuis que sous le vocable de sainte Anne se dissimule l’image parfois
redoutable de la Déesse des Commencements. J’ai su depuis que la tradition
celtique insulaire fait venir les Bretons d’une mystérieuse Ana, nommée Dôn
dans les textes gallois et Dana dans les récits irlandais, la mère des dieux de
l’ancienne Celtie, la Vierge des Vierges, la Virgo paritura des antiques
légendes récupérées par le christianisme. J’ai su aussi que la statue trouvée à
Keranna par le pieux Nicolazic, au XVII e  siècle , et
en qui il avait cru reconnaître sainte Anne, grand-mère de Jésus, n’était qu’une
statue païenne de déesse-mère, et qu’elle avait été, pour la circonstance, retaillée
soigneusement par les Capucins d’Auray, pour qu’elle fût présentable et digne
de la piété des fidèles. J’ai su aussi, qu’à la même époque, sur les rives du
Blavet, sur les pentes de Castennec, en Bieuzy-les-Eaux, oppidum celtique
romanisé par la suite, mais qui échappa au christianisme, les gens du pays se
livraient à de curieux rituels sexuels sous une statue représentant une « Vénus »
ou une « Isis », en tout cas une divinité païenne héritière d’étranges
liturgies de fécondité. Peu importe : sainte Anne, que l’hagiographie
bretonne présente comme originaire de l’Armorique et mariée à un méchant
seigneur
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