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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha
Autoren: Marek Halter
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force que tout mon corps tremblait. Les émotions terribles des jours passés, la jubilation des guerriers qui, à l’instant même, chantaient encore leur triomphe tout près de la tente, s’effacèrent. Seul comptait le désir de mon époux, qui embrasait le mien. Un instant je crus qu’il me soulevait comme une plume. L’air pénétrait dans ma poitrine telle une langue de feu. Mon ventre n’était qu’une braise impatiente de plus de flammes encore. Alors j’entendis les mots franchir ma bouche. Je ne reconnus pas la voix si lourde et assoiffée de bonheur qui vibrait dans ma gorge :
    — Mon époux, mon tant-aimé ! Le sang de ta femme a coulé ! Le sang a coulé… Je ne suis plus une fille. Allah le Clément a ouvert la voie de ton épouse…
    Le dos du Messager tressaillit sous mes paumes. Les reins tendus et frémissants, il se redressa sur les coudes et chercha à deviner mon visage. À travers l’ombre de la tente, je vis le brillant de ses yeux. Je crus qu’il allait lire en moi le mensonge. Mais non.
    À lui aussi le bonheur ouvrit la bouche et emplit la poitrine. Il m’emporta aussi loin que son désir le voulait, sans plus se soucier de rien d’autre.
     
    À l’aube, Muhammad dénoua ses bras de ma taille. Et moi, au premier frisson de froid venu de son éloignement, la folie de mon blasphème m’apparut pour de bon.
    Par Dieu, qu’avais-je fait ? Allah tout-puissant allait me foudroyer sur place ! J’avais dit le faux en prononçant Son nom sacré !
    Muhammad me vit livide et au bord des larmes. Il me crut encore émue par notre nuit. Comment aurait-il pu deviner la vérité ? Son amour était si tendre que ma honte en fut décuplée. J’étais sur le point de tout lui avouer. Mais son bonheur le poussa à me baiser à nouveau tout le corps. Le courage me manqua. Je préférai affronter la colère d’Allah que les reproches de mon bien-aimé. Ainsi sommes-nous : faibles et de peu de volonté.
     
    Nous reprîmes la route de Yatrib avant que le soleil ne dessine nos ombres. L’empressement accélérait notre marche. Au plus chaud du jour, nous prîmes du repos à l’ombre de quelques palmiers. Dès que nos chamelles se furent agenouillées, mon père Abu Bakr s’approcha de Barrayara.
    Un large et rare sourire illuminait son visage. Il lui parla tout bas. Je devinai sans peine la raison de ce conciliabule. Sans doute le Messager lui avait-il confié le bonheur de notre nuit.
    Notre bonheur et mon mensonge.
    Barrayara eut un mouvement de surprise. Elle se retourna vers moi, les yeux noirs dans l’ombre de ses sourcils. Je cessai de respirer. Elle allait détromper mon père. Il allait tout savoir, tout comprendre. Avant le soir, ce serait un scandale et il lui faudrait renier sa fille !
    Non. Barrayara hocha la tête et prononça quelques mots. Je crus même entendre son rire. Sous sa barbe soignée et parfumée, le sourire étira plus encore les lèvres fines de mon père. La fierté brillait comme jamais dans ses yeux. Il eut un geste affectueux dans ma direction avant de repartir près des hommes.
    Les épaules de Barrayara se tassèrent. Elle s’avança vers moi. Il me fallut un grand effort pour soutenir son regard. La colère brûlait ses joues. Elle ouvrit la bouche pour s’en délivrer. Mais pas un mot ne franchit ses lèvres.
    Nos regards suffisaient. Elle savait lire en moi comme je savais lire en elle. Qu’y avait-il à dire de plus ? J’avais fauté, elle savait pourquoi. Le mensonge était dit, la faute accomplie et irréparable. Au moins ignorait-elle que j’avais blasphémé.
    Mais peu importait. Tôt ou tard, la justice serait rendue, et Allah l’Unique, le Créateur et Bienfaiteur de toutes choses, serait mon juge.
    Avant que Barrayara ne me tourne le dos, une plainte me noua la gorge. La fureur déforma les traits de ma servante. Elle prit ma main, la serra à la briser et gronda :
    — Non ! Pas de plainte, pas de larmes ! Puisque tu as voulu te rendre heureuse, au moins que chacun le voie.
    Ce fut sa vengeance. Je n’ose imaginer la grimace de terreur qui figea mon visage. Autant boire de la bile et du venin ! Pourtant, lorsque nous remontâmes dans les palanquins sanglés à la bosse des chamelles, les servantes me lancèrent des coups d’oeil envieux. J’entendis leurs rires et leurs chuchotements. L’une d’elles assura qu’elle avait vu le sang de mes noces accomplies sur ma tunique de nuit. Barrayara avait fait ce qu’il
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