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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha
Autoren: Marek Halter
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épouse !
    La timidité, et peut-être aussi un peu de honte, me retenait de questionner ma mère. Je me hasardais auprès des filles de mon âge. Elles ne me cachèrent rien de leur fierté : bien sûr qu’elles connaissaient déjà le « sang de la lune », comme elles l’appelaient.
    Barrayara subit à nouveau mes gémissements :
    — Elles ont mon âge et elles ont déjà le sang ! Il en est même qui sont plus jeunes que moi.
    — Alors elles devraient craindre qu’Allah ne les châtie un jour de tant se vanter, ricana Barrayara.
    — Elles ne mentent pas ! protestai-je. Pourquoi cela ne vient-il pas pour moi ?
    — Prie et demande à Allah. S’il en est un qui connaît la réponse, c’est Lui.
    Barrayara accueillait mes plaintes en plaisantant. Mon impatience et le goût que je montrais pour mon époux lui plaisaient. Elle y voyait un signe de grand bonheur pour le futur.
    — Cesse tes jérémiades. Dieu t’enverra le sang quand Il le jugera utile. Si tu veux être une bonne épouse, commence par bien te comporter. Ton époux devrait t’enseigner la patience au lieu de te faire tant de caresses.
    Elle avait raison, je le savais. Son sermon tranquille m’apaisa. Si les choses allaient ainsi, c’était la volonté du Clément et Miséricordieux. Je n’avais qu’à plier la nuque. Mon mal n’en était pas un, c’était seulement un caprice de la jeunesse.
     
    C’est alors qu’arriva la nouvelle : Abu Sofyan revenait du Nord à la tête d’une caravane transportant toute la richesse des Mekkois. De longs conciliabules retinrent le Messager près de mon père et de ses plus proches compagnons. Il visita moins ma chambre. Ses baisers restèrent tendres, mais son esprit n’était plus aux jeux du désir.
     
    Et voilà, à présent nous avions dressé notre campement de tentes près des puits de Badr. Le combat contre les Mekkois était imminent. Pour la première fois, j’allais voir couler le sang de la guerre. Peut-être même en mourrais-je, moi qui n’étais pas encore une épouse accomplie.
    Alors ce soir-là, enivrée peut-être par le parfum dont je m’étais enduite, je maudis cette attente. Je maudis ce sang de femme qui ne venait pas. Seule sur ma couche, je laissai la colère m’emporter. Qu’Allah me pardonne, si cela se peut. Je crois bien avoir crié et protesté contre Sa volonté. L’avoir traité d’injuste. L’innocence était encore en moi, je brûlais de la perdre.
    L’épuisement et la tristesse enfin fermèrent mes paupières. Je m’endormis avec l’espoir de trouver en rêve cette femme que je n’étais pas encore et que je désirais tant pouvoir offrir à mon époux.

5.
    Les jours suivants furent ceux de la terreur, des cris, de la douleur, et finalement de la victoire et de la joie.
    Durant les combats, Muhammad revint plusieurs fois sous la tente réclamer le soutien de Djibril. Chaque fois l’ange d’Allah répondit à son appel. Par Sa bouche, le Clément et Miséricordieux offrit Sa cohorte éblouissante d’anges salvateurs pour venir en aide aux guerriers menés par Son Envoyé. Malgré leur nombre, les mécréants de Mekka en furent aveuglés et chancelèrent d’effroi. Ils subirent la pire débâcle. Les survivants s’enfuirent devant les guerriers de Yatrib.
    Deux journées entières furent nécessaires pour enterrer les morts, panser les plaies et réunir les prisonniers. L’exultation de la victoire était à son comble.
    Le troisième jour, Muhammad ordonna notre retour à Yatrib. Près d’Al Athil, à deux ou trois journées de marche de Yatrib, alors que le soleil était encore haut sur les crêtes des montagnes, il arrêta notre caravane et ordonna qu’on forme un camp de nuit. Une fois les tentes dressées, il effectua le partage du butin. Les richesses prises aux Mekkois étaient si importantes que cela dura jusqu’à la pleine obscurité. Des torches brillaient partout dans le camp et soulevaient l’ombre du ciel. Sous la tente, je m’étais endormie depuis longtemps, rompue de fatigue et d’énervement, lorsque le murmure de mon époux effleura mes tempes :
    — Ma belle épouse, mon ange de miel !
    Sa voix était aussi légère que la caresse de ses doigts. Je crus d’abord rêver et ne cherchai pas à sortir du sommeil. Le plaisir bientôt me fit rouler sur la couche comme une feuille emportée par une crue. Les baisers de Muhammad transformaient la nuit en lumière. Mon coeur frappait ma poitrine avec tant de
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