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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha
Autoren: Marek Halter
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repétri ton corps, Aïcha, pour que tu puisses affronter le temps comme aucune autre.
    La crainte qui me tordait les entrailles se dénoua. Je compris enfin la demande que m’avait faite mon époux en m’invitant à le suivre dans cette bataille. « J’aurai besoin de toi », m’avait-il confié. Et moi, au lieu de me préparer à lui porter aide, je tremblais comme une feuille et me comportais comme une enfant !
     
    Quand Muhammad me rejoignit enfin sous la tente, la nuit était épaisse et le vacarme des grillons vrillait les oreilles. Il tenait son manteau plié sur son bras et serré contre sa poitrine. C’était un premier signe. À la lueur de la lampe, je lus sur son visage ce qui allait advenir. J’en fus si heureuse que j’oubliai pour de bon le reste d’effroi qui rampait encore dans mon coeur.
    Barrayara m’avait aidée à préparer un repas. Les draps de la couche étaient tendus. Je portais ma tunique de nuit et mes cheveux étaient dénoués. Muhammad n’y prêta pas attention. Il s’assit sur son tabouret, les paupières à demi closes. Ses doigts vibraient sur son manteau. Ses lèvres frémissaient. La tension de l’appel crispait ses muscles, il bandait ses forces. Mon époux ne requérait jamais l’ange d’Allah de la voix ou du geste. Son corps tout entier, chair, nerfs, os, sang, appelait pour lui. Parfois cela devenait si intense qu’il me semblait entendre la puissance de son cri.
    Doucement, je pris son manteau et le posai au pied de notre couche. Il me laissait toujours faire. D’ordinaire, il ne paraissait pas même avoir conscience de ma présence.
    Ce soir-là, pourtant, à peine eus-je déposé le manteau qu’il me saisit les mains. Il prononça mon prénom :
    — Aïcha !
    Son haleine frôla mes paupières.
    Nous restâmes immobiles ainsi. J’étais accroupie si bas à son côté que mes genoux s’engourdissaient. La flamme de la lampe brillait dans ses yeux aux aguets.
    Soudain, le désir me prit de lui embrasser les mains. Ma bouche se précipita sur sa chair. Je baisai ses poignets, le bout de ses doigts. Presque aussitôt le tremblement commença. Comme souvent, cela le prit d’abord aux épaules. Puis ses coudes se mirent à danser, sa taille à vibrer. Je lâchai ses mains et me jetai sur la couche, empoignant le manteau. Avec autant de crainte que de soulagement mon époux s’exclama :
    — Djibril ! Djibril ! Allah soit loué mille fois !
    Moi, je ne voyais rien. Ni l’ange ni personne. Pas un souffle ne ployait la flamme de la lampe. C’était toujours ainsi. Muhammad était là, tremblant, les paumes ouvertes, tendues devant l’ange d’Allah, et moi je ne voyais rien, je n’entendais rien. Seulement la voix lourde et rauque de mon époux qui recevait les mots de l’ange.
    Comme il me l’avait demandé une fois pour toutes au jour de nos épousailles, je jetai son grand manteau sur lui et l’en recouvris. Je fermai bien serré mes paupières. De dessous son manteau, mon époux implorait, rêvait, recevait et remerciait.
    Allah m’avait placée là pour entendre Son Messager, non pour voir.

4.
    La visite de l’ange Djibril ne dura pas. Quand Muhammad repoussa son manteau et se redressa, son visage brillait de joie. Il me demanda :
    — As-tu entendu les mots de mon frère Djibril ?
    C’était ainsi que souvent il appelait l’ange. Non, jamais je n’entendais Sa voix. Mais j’avais parfaitement perçu celle de mon époux répétant Ses paroles pleines de fermeté et d’encouragement. Je les prononçai à mon tour :
    — Les incroyants ne seront protégés de rien en face d’Allah. Ils sont nourriture du feu. Allah secourt ceux qui vont dans Sa voie. Il ne se détourne que de ceux qui ne savent pas voir [1] .
    Muhammad baisa mon front.
    — Ne les oublie pas. Garde-les précieusement dans ta tête, que l’on puisse les y retrouver quand il le faudra.
    Encore il baisa mes paupières avant de quitter vivement la tente, impatient de porter la bonne nouvelle aux guerriers. Je me doutais qu’il ne reviendrait pas de la nuit. Ou seulement pour un bref somme avant l’aube.
    La fatigue de la route me pesa sur tout le corps. Barrayara souleva la portière pour savoir si j’avais besoin de quelque chose. Je dis non. Je ne voulais pas qu’elle se lance dans ses bavardages. Je n’avais que le désir de me glisser dans ma couche pour mieux penser à ce que je venais de vivre.
    Je remerciai Allah pour la confiance qu’il manifestait
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