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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha
Autoren: Marek Halter
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pas la même chose.
    — Non.
    — Celle de sa chair, il doit aussi l’avoir dans ses paumes, et bientôt.
    — Si Allah le veut.
    Mon père haussa le ton :
    — Et pourquoi ne le voudrait-il pas ?
    Il fit un effort pour se contenir :
    — Sais-tu ce que le Messager a annoncé devant tous, aujourd’hui et pendant notre repas ?
    Comment l’aurais-je su ?
    — Il a dit : « Allah m’a comblé deux fois. Une fois en m’adressant une épouse qui saura être la mémoire de mes paroles. Une fois en m’adressant une fille qui saura être la lame de ma descendance. » Saisis-tu ce que cela signifie ?
    J’ai préféré ne rien répondre. C’était un tort. Mon père ne retint plus son agacement :
    — Aïcha ! Tu n’as pas seulement de jolies oreilles et une mémoire étonnante, gronda-t-il. Pour ce que j’en vois, tu es aussi faite comme toutes les femmes qu’Allah a répandues en ce monde !
    La honte me brûla les joues et le front.
    Comme mon père se trompait !
    Heureusement, je n’eus pas à répondre. La voix de ma mère résonna sur le seuil de la chambre :
    — Ta fille a raison, Abu Bakr. Tu ne devrais pas te montrer plus impatient qu’Allah.
    Mon père sursauta. Ma mère et Barrayara laissèrent retomber la portière et s’approchèrent de nous. La chambre n’était pas grande et ma mère, qui a toujours été une femme ronde, semblait occuper tout l’espace. L’énervement brouilla le visage de mon père, mais il n’osa pas interrompre son épouse première.
    — Dans cette maison, chacun sait ce qu’il en est de Fatima. S’il en est une qui se moque d’être mère, c’est bien elle. Tout ce qu’elle veut, c’est se comporter en homme. Elle rêve de brandir une nimcha et d’avoir du sang sur les mains, comme un guerrier. C’est cela qu’elle est venue demander au Messager en échange de son fils. Demain, ce petit Hassan, elle l’aura oublié. Ne connais-tu pas assez la fille du Choisi d’Allah pour la comprendre avant qu’elle n’ouvre la bouche ?
    Mon père, qui était assis, se releva pour toiser ma mère et claquer la langue avec mépris :
    — Qu’Allah me pardonne, Omar a raison ! À vous, les femmes, il faut toujours répéter les choses cent fois avant que vos yeux ne se décillent. Femme, que crois-tu qu’il adviendra demain et après-demain ? Badr n’est que le début de la guerre. Allah est impatient de nous voir à nouveau déambuler autour de la sainte Ka’bâ de Mekka. Là-bas, les mécréants, les hypocrites, les menteurs ont la tête dure. Désormais, ils nous connaissent. La crainte de Dieu devrait les faire fuir, mais, au contraire, ils fomentent leur vengeance. Et c’est la volonté du Tout-Puissant, car Il veut les châtier par notre main. Cela suppose des combats et encore des combats. Cela présage des flots de sang et des temps incertains. Cela signifie des alliances nouvelles pour le Messager. Et aussi des épouses nouvelles, des femmes issues des clans récemment soumis à la parole d’Allah qu’il voudra honorer. Cela veut dire des fils et des filles nés d’autres ventres que de celui de ma fille Aïcha, alors que moi, Abu Bakr, je veux avoir mon petit-fils, fils de l’Envoyé de Dieu, sur ma selle quand nous entrerons de nouveau dans Mekka ! Voilà ce qui est, femme… Si Allah le veut.
    En choeur, ma mère et Barrayara reprirent son voeu :
    — Inch Allah !
    Puis elles se turent, la bouche crispée et défiant mon père du regard.
    L’humiliation bourdonnait dans mes tempes. Mes ongles entaillaient mes paumes. Je luttais afin que les larmes ne débordent pas de mes paupières. Ces paroles de mon père, je les attendais. Je le savais, le bonheur auquel je m’accrochais depuis le retour de Badr n’était qu’un excès d’illusion. Une mystification.
    Avec un dernier geste de dépit et d’agacement, mon père s’apprêta à quitter ma chambre. En s’écartant pour lui laisser le passage, Barrayara soupira :
    — Tu es bien comme tous les hommes, Abu Bakr. Tu dis une chose et son contraire. Tu dis : « Si Allah le veut », mais tu t’impatientes qu’il ne le veuille pas déjà. Ta fille a treize ans. C’est assez pour être dans la couche de son époux, mais certainement pas assez pour que Dieu lui veuille un ventre de mère.
    De toute autre femme que Barrayara, y compris de ma mère, la remarque aurait déchaîné la fureur de mon père. Mais Barrayara et lui se connaissaient depuis toujours. Ils
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