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Aïcha

Aïcha

Titel: Aïcha
Autoren: Marek Halter
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À toi qui poseras les yeux sur ces lignes
    Mon nom est Aïcha bint Abi Bakr. Depuis presque soixante années, les humbles et les fougueux, les respectueux et les haineux m’appellent Aïcha, Mère des Croyants. Bientôt, je le sais, Allah le Clément et Miséricordieux jugera ma vie.
    Il a voulu qu’elle soit longue, belle et terrible. Moi qui suis devenue l’épouse de Son Messager quand je jouais encore avec mes poupées en chiffon, j’ai vu la parole du Coran naître sur les lèvres de mon bien-aimé comme un nourrisson fragile avant de se répandre aux quatre horizons. Hélas, j’ai vu tout autant le mal, la faiblesse et la fourberie qui ruinent les vies et les peuples ainsi qu’une vermine.
    Depuis deux lunes mes servantes me donnent des potions et des tisanes pour que le sommeil me vienne. J’ai cessé de les boire. Je préfère que mes yeux perçoivent l’éclat des étoiles de la nuit pure qui se pose sur les toits de Madina. Dans l’obscurité comme dans les scintillements infinis qui illuminent l’univers d’Allah, je devine parfois le regard de mon unique et merveilleux époux.
    Aussi vieille et flétrie que soit ma chair désormais, je suis certaine de recevoir encore le souffle de ses paroles et de ses caresses. Dix années durant, pendant chaque seconde de mon existence, elles coulèrent sur moi tel du miel. Les ans n’y ont rien changé. Aujourd’hui encore, je ne suis que l’oeuvre de Muhammad le Messager. De cela, je sais que Dieu le Miséricordieux est satisfait.
    Il a voulu que ma mémoire soit incomparable afin de la mettre au service de Sa volonté et de Son Envoyé. En temps de paix comme en temps de guerre, Muhammad, mon époux très aimé, y a puisé les mots et les enseignements qu’il y avait déposés comme dans un coffre précieux. Plus tard, au cours des longues années de troubles et de violence, combien de fois ai-je dû défendre sa parole et sa vérité sacrée par la seule force de mes souvenirs ?
    Aujourd’hui, c’est souvent à l’approche de l’aube qu’ils me sont les plus vifs. Ils m’emplissent et ravivent en moi les temps anciens. Le plus lointain dans ma mémoire me devient si proche et si vivant que, lorsque la clarté du jour dissipe mon illusion, les larmes me nouent la gorge. Mais Allah ne m’a pas accordé le prodige de cette souvenance pour que je m’enivre de nostalgie.
    Avant que la mort ne saisisse mon corps et ma pensée, avant que mon âme ne flotte devant Lui et qu’il ne me désigne ma place en Son royaume, le Tout-Puissant veut que je soupèse moi-même le bien et le mal qui marquèrent mon existence.
    C’est pourquoi j’ai décidé de prendre calame et parchemin pour emplir des mots de la mémoire les journées qui me conduiront au jugement éternel.
    Qu’Allah le Clément et Miséricordieux bénisse ma main et la soutienne assez longtemps pour que j’accomplisse ma tâche.

La honte

1.
    Après bien des pensées et des réflexions, il me semble que c’est aux jours d’après la grande victoire de Badr qu’a commencé l’oeuvre du mal qui déchire aujourd’hui encore mon coeur et celui de tous les vrais Croyants.
    Puisse Allah le Miséricordieux me montrer que je me trompe.
     
    J’avais treize ans à peine. Nous vivions un prodigieux moment de joie et de gloire. Je revois les visages et les gestes, j’entends les voix. Je perçois même sur ma peau la délicatesse de la tunique neuve, bleue et brodée d’argent, que je portais pour la première fois et qui s’accordait si bien avec le roux de mes cheveux. Muhammad, mon époux, l’avait tirée du butin de la victoire sur les polythéistes de Mekka. Il me l’avait offerte avec une poignée de splendides bijoux. Des bagues, des colliers de pierre du Sud, un peigne et deux pendentifs en or.
    Les années suivant notre fuite de Mekka avaient été dures et pauvres, mais c’en était fini. La paume d’Allah était sur nous. À Badr, guidés par Muhammad le Messager, les Croyants de Yatrib avaient vaincu les malfaisants de Mekka. Ils avaient tranché la gorge de deux de leurs chefs, Abu Lahab [*] et Abu Otba, noyant ainsi dans le sang des années d’insultes et d’humiliations.
    Désormais, la honte des faibles pesait sur l’échine d’Abu Sofyan et des puissants de Mekka qui avaient échappé aux combats.
    Deux jours plus tôt, les Croyants de Yatrib avaient ovationné Muhammad à son retour de la bataille. Debout dans le palanquin sanglé sur une chamelle, moi, son
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