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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi
Autoren: Jean-Michel Riou
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coûte, et on ne fait pas appel à Paillard, la vieille à deux dents , quand on a le sou. En somme, l’affaire est ficelée. Qu’il crève maintenant ou plus tard, le petit est condamné. La fille de mauvaise vie ne pourra pas le nourrir. À cet instant, le seul sursis pour l’enfant, c’est le prêtre qui doit venir le baptiser. Que fait-il d’ailleurs ? Pourquoi tarde-t-il ? Un Pater Noster , un peu d’eau sur le front, un signe de croix, prémices à l’extrême-onction, et ad patres dès que l’ecclésiastique, qui a bien d’autres ouailles à réconforter, aura tourné le dos. Tudieu ! râle la sorcière, en jetant un œil sur le bambin qui respire difficilement, si ce n’est pas terminé à midi, il faudra s’en débarrasser. La folle calcule qu’il sera étouffé.
    Eh quoi ! sa mère ne le lui reprochera pas, ratiocine cet esprit malade, perverti. Toutes pareilles, les chiennes du faubourg ! À la première œillade d’un joli cœur, les voilà allongées sur le dos, bientôt le ventre arrondi, les hanches déformées, les reins meurtris, incapables de porter une bûche, un seau à l’étage. Il ne reste plus qu’à faire appel à elle, la Paillard, pour défaire ce que ces garces ont fait. Dix minutes de petite jouissance et une pour y mettre fin. Quand on vient mettre bas chez elle, ça se termine souvent ainsi. Les filles regardent le gamin – leur bêtise – d’un air apeuré. Elles dodelinent de la tête, elles sont perdues. Et maintenant ? Où trouver du secours ? Un regard en coin en direction de l’accoucheuse. Que peut-elle ? La réponse vient sans un mot : un pouce sous la gorge et un geste sec de la gauche vers la droite. Étouffé ou égorgé, ce sera le même prix. La vieille a choisi pour le gueulard du jour. Elle le serrera dans le drap qu’elle entortillait cette nuit autour du ventre rond de la fautive afin que le bâtard sans nom sorte plus vite et montre son museau de fouine.
    Bien sûr, cela aurait été plus simple, surtout moins coûteux, de l’expédier aux anges aux premiers mois de la grossesse. À quoi bon ce fichu travail, ce chagrin inutile, se dit-elle, en jetant un coup d’œil méchant sur Marie qui est toujours inerte. Le suivant est pour le gosse qui mord dans le vide, cherche un sein, un peu de peau à téter pour apaiser la faim. Cette nuit, déjà, elle aurait dû en finir. Mais ce morceau d’homme s’accrochait, montrant un sacré courage. D’ailleurs, il gardait la trace du combat. Un front fuyant, car la tête avait été malmenée, écrasée, comme serrée dans un brise mâchoire de l’Inquisition ; une balafre profonde barrant la joue gauche, vestige des forceps de fortune, rouillés du sang des victimes précédentes.
    Tout ce gâchis pour rien, peste-t-elle en se demandant encore pourquoi le prêtre se fait attendre.

    Si seulement Marie se doutait des projets de la mère Paillard, sa faiblesse s’évanouirait-elle ? Pourrait-elle au moins se relever ? Son sang a tant coulé, étrangement, avant même que lui viennent les eaux annonçant que l’enfant se présentait. Après, le travail fut lent, pénible. Des heures que lui avait reprochées la vieille en se moquant d’elle, jurant qu’elle avait dû montrer moins de timidité lorsqu’elle avait ouvert les cuisses afin d’accueillir le père. Marie priait en silence pour oublier ces injures, promettant de ne plus jamais être soumise et faible. Pour y croire davantage, elle s’imaginait caressant le visage de l’enfant. Oui, le courage revenait, maintenant. Perdue dans ses rêveries, à moitié lucide, elle se le représentait grand. Il avait sept ans, il était beau, il lui souriait. Ma chère maman… Il était bon aussi. Tout le contraire de son maudit père.
    — Pousse !
    La voix de l’accoucheuse claquait sur les murs grêlés de salpêtre, plus lugubres qu’un caveau. Marie avait mal, sa poitrine cognait à en mourir. Lors du dernier déchirement, une douleur inouïe avait un instant arrêté les battements de son cœur. Mais son enfant se montrait, la libérait, le plus dur était fait. Il fallait oublier l’antre de la sorcière, ne penser qu’à demain. Et elle cessa de pleurer en l’entendant crier. Il l’appelait. Marie en était certaine.
    — Un pisseur qui engrossera un jour une fille comme toi.
    Ce furent les mots de bienvenue de sa tortionnaire.
    À cet instant, Marie s’en moque puisqu’elle et lui vivent. Mais le sang coule toujours et la vieille doit
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