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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi
Autoren: Jean-Michel Riou
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Sept heures. La journée sera longue, l’attente pénible. La ville semble déserte. Entre chien et loup. Comme abandonnée.

    L’église de la Visitation Sainte-Marie sonne l’angélus, courte répétition avant d’appeler les fidèles au rite dominical, mais l’éclat de sa cloche neuve se perd dans la brume, et ce passant qu’on aperçoit enfin dans la rue de la Tonnellerie se sent seul. Dans ce coupe-gorge étroit du quartier du Marais, situé non loin de la rue Saint-Antoine qui mène à l’abbaye du même nom, il marche, yeux baissés, cherchant péniblement sa voie parmi les immondices qui flottent dans ce passage – un égout à ciel ouvert.
    Sa botte repousse la dépouille d’un rat mort trempant dans la boue, le ventre gonflé comme une barrique.
    — Ta peste, je n’en veux pas, dit-il, s’apprêtant à cracher dessus pour conjurer le sort.
    Mais sa manœuvre en reste là. Un hurlement strident, dont il ne saurait dire de quoi il retourne et d’où il arrive, le fait sursauter de peur.
    Devant ! Maintenant sur le côté… Voilà que ça recommence. Il tend l’oreille, flaire d’où vient le danger. Le cri se rapproche. Ici ! Il jaillit du soupirail d’une cave d’où monte l’odeur pestilentielle de la pourriture.
    — Mordiou, grogne-t-il en secouant ses cheveux trempés par la pluie. Bougre de gueulard…
    Ce ne sont que les braillements d’un nouveau-né. Une vie de plus dans le monde des misérables.
    Ce petit-là deviendra, à coup sûr, voleur, coupe-jarret, esclave des turpitudes d’un chef de bande de la cour des Miracles. Vivra-t-il seulement ? Un sur deux, nés ce jour, roi ou misérable, mourra avant d’avoir goûté à la manne sucrée du sein d’une mère – et avant même que l’angélus de midi déchire à nouveau le brouillard épais, noyé d’une pluie redoublant de force. On accusera l’indigence, le malheur des hommes, la punition du Tout-Puissant et, pour cette femme qui vient d’enfanter, le péché.
    Pour se terrer ici, elle doit être de mauvaises mœurs.

    L’endroit est infect, maudit, connu pour accueillir les âmes sataniques, adoratrices du poison et des messes noires. Notre homme fait tout pour oublier les lieux, le soufre qui s’en dégage. Espérant briser l’effroi qui le tenaille, il se signe encore, supplie Dieu d’écarter le diable rôdeur. À présent, sa main serre la bourse épaisse qu’il porte à la taille, dissimulée sous le manteau. Quel idiot ! Emporter dix livres qui sonnent et tintinnabulent plus fort que ses bottes quand il n’avait besoin de rien ! Le chant des pièces suffit pour attirer le coupe-jarret, un loup à l’affût de tout. Et on le retrouvera égorgé. Un coup d’œil sur ses arrières, il redresse le col de son manteau par lequel s’infiltre le torrent du ciel, piquant et glacial. Il vient d’oublier la fille et son chiard. Il s’en moque.
    Nicolas Pontgallet, un maçon de Paris, file vers la rue Saint-Antoine. Cent pas le séparent de l’abbaye où il se rend afin d’entendre la messe et, surtout, observer la nef gothique de l’église qui réclame des travaux. Mais cent pas, c’est beaucoup. Un cri, encore. Maudit gnasse. Il gueule toujours. Un instant, Nicolas Pontgallet décide qu’à choisir, si l’enfer veut son quota quotidien de morts, il vaut mieux qu’il se serve ici plutôt qu’à Saint-Germain où la reine… Mesurant aussitôt qu’il risque de déplaire au Créateur, Père des innocents, il chasse ses pensées pécheresses pour se concentrer sur le rendez-vous où il se rend.

    Pontgallet ayant pris soin de se faire annoncer, l’abbesse qui règne sur l’abbaye , la Dame du Faubourg , ainsi qu’on la surnomme, le recevra personnellement avant l’office de huit heures. À moins que d’aventure, a-t-elle prévenu, si par bonheur, ou par malheur… La reine, l’enfant… Mais cette nuit, rien de bon ou de mauvais n’est parvenu de Saint-Germain-en-Laye. Ce maçon de vingt-huit ans est un des compagnons qui érigea sous les ordres de l’architecte Philibert Le Roy le petit château de cartes 4 de Versailles voulu par Louis XIII en remplacement de son relais de chasse. L’œuvre, bien que modeste, achevée en 1634, lui a conféré renommée et prestige. Depuis, les commandes affluent et si l’abbesse est satisfaite de son projet, elle lui offrira une collation après la messe à laquelle il se rend pour faire bonne figure . Le dimanche, on mange gras à l’abbaye, se souvient-il.
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