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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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les familles de notre pays fussent les moins
endettées de toute l’Europe : « Une économie qui s’endette pas assez
est une économie qu’a peur du lendemain. C’est pour ça que j’souhaite
développer chez nous le crédit hypothécaire, parce que faut pas écarter ceux qu’ont
pas trop les moyens. J’veux une France de propriétaires ! »
    La peur du lendemain était entre-temps devenue celle du
jour. Des millions d’Américains sans travail furent expulsés de leurs pavillons
que rachetaient à bas prix des filous dans la combine. Le magnifique rêve de
prospérité à crédit de Notre Dépensier Souverain venait à la seconde de crouler
avec le building de Lehman Brothers ; il fut contraint de négocier un
sérieux virage pour se contredire sans en avoir l’air, mais il est plus aisé de
changer de convictions lorsqu’on n’en a pas.
    — Sire, dit le chevalier de Guaino en se raclant une
nouvelle fois la gorge, écoutez cette sentence de Saint-Just à la tribune de la
Convention…
    — C’est l’patron des financiers, ton Saint Jules ?
    — Qu’importe, Sire, Saint-Just disait : « Il
faut faire peur à ceux qui gouvernent. Il ne faut jamais faire peur au
peuple. »
    — Mais c’est moi que j’gouverne !
    — Non, Sire, pas vous mais les croquignols de la
Finance planétaire.
    — Ah ben ça, tu m’la coupes ! On leur fait peur
comment, à ces zigotos ?
    — Vous devez les dénoncer pour éviter de l’être.
    — Tant mieux, et puis les banquiers qui prêtent aux
gens l’argent qu’ils mettent dans leur banque, j’ai jamais trop aimé ça.
    — Montrez-vous en révolutionnaire, Sire, soyez
intraitable, c’est-à-dire que si vous traitez, cela doit s’opérer en secret.
Ainsi, vos sujets penseront que vous les protégez.
    Notre Vaillant Leader, qui annonçait tous les six mois, avec
force clairons, qu’il avait changé, changea vraiment mais de discours. Il testa
ses nouvelles vertus jacobines à New York, fort d’un prix du courage politique
que venait de lui remettre une revue acquise aux impériaux. Ce fut au Cipriani,
dans le quartier de Wall Street, un restaurant select installé dans les anciens
locaux d’une banque faillie, avec une décoration du style péplum de la
Paramount, lustres en bronze, colonnes de faux marbre, et, surtout, près de
huit cents invités qui avaient chacun payé leur place entre vingt mille et
soixante-quinze mille dollars selon les gazettes. Tous ces richissimes
portaient des robes du soir ou leurs costumes de pingouins à nœud papillon,
comme Leurs Majestés, car Madame était venue en longue robe bleu roi. Notre
Exaltant Leader ne lut point les feuillets qu’on lui avait préparés pour cet
auditoire de luxe, mais il s’élança sur sa toute nouvelle ligne :
« Que les responsables de la Crise soient punis ! » Or ils
étaient là, devant lui.
    Sa Majesté Fougueuse persévéra quelques jours plus tard à
Toulon, où, avec des phrases pesées et ouvragées par le chevalier de Guaino,
elle reprit sans vergogne les vieilles idées de cette Gauche qui, la veille
encore, lui paraissaient désuètes et sans valeur. Les marchés sont fous !
déclama le Prince. Ils sont de plus en plus abstraits et compliqués afin que
nul n’y comprenne goutte, ils sont sales, organisés comme la Mafia, avec des
îlots hors contrôle où l’impôt est malvenu. Que faire ? Là, Notre Implacable
Souverain retrouva ses réflexes : il fallait cogner. Comment ? Avec l’État,
lequel devait fourrer son nez dans cette économie mortifère et contagieuse qui
ruinait la planète. Alors Notre Tourbillonnante Majesté, à la tribune, devant
les gens médusés du Parti impérial, plaida pour que les salariés fussent
intéressés aux résultats autant que leurs dirigeants, et que ces dirigeants,
après avoir coulé leur entreprise, ne s’en allassent point sous les tropiques
avec des fortunes. Notre système de protection avait mieux fonctionné que
partout ailleurs, et nous résistions mieux à la bourrasque, grâce aux services
publics par définition en dehors du marché. Le Wall Street Journal l’affirmait :
même en Amérique, nationaliser n’était plus un péché.
    Le peuple s’affolait et Sa Majesté voulut le cajoler en lui
certifiant que ses économies seraient garanties par l’État. Dans un même temps
il fallut maintenir à flot lesdites banques. Avec trois milliards d’euros le
Prince sauva de la banqueroute un misérable
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