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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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sur toutes les surveillances. Nicolas I er imaginait
la société comme un supermarché qui espionne ses clients avec des caméras et
des vigiles, les soupçonnant de dérober une choucroute en conserve ou deux
flacons de Canard-WC. Edvige devait répertorier les délinquants en
puissance ; notables de tous domaines dont il fallait savoir la vie et les
mœurs, gamins des cités qui avaient déjà plongé la main dans le sac d’une dame,
bref, ceux qui jouaient un rôle ou risquaient de troubler l’ordre
public. Ces notions flottantes concernaient quinze millions de personnes dont
il fallait noter les opinions, les croyances, l’origine raciale, l’orientation
sexuelle, l’appartenance à un syndicat, les tracas de santé… La vie familiale d’un
industriel côtoyait celle d’un loubard de treize ans pour des raisons et des
usages différents, car les renseignements de police se mêlaient à des fiches
judiciaires au nom de la sécurité. « Et au mépris de la vie
privée ! » crièrent sept cents associations en furie, puis parut une
pétition monstre. La contestation enfla pendant l’été et elle gagna des juges,
des patrons, des ministres et même des membres du Parti impérial. Notre
Invincible Potentat sentait compromise sa remontée de popularité et, dans l’avion
qui le ramenait une fois encore de Géorgie, il grogna : « J’vais
devoir m’en occuper ! »
    Pour qu’on ne l’accusât point, le Prince dut selon sa
pratique ordinaire sacrifier illico un responsable du cafouillage ; jetant
ce sous-fifre en pâture, il pourrait se défausser puis se blanchir. Ce fut
Mme d’Alliot-Marie, duchesse de Saint-Jean-de-Luz, qui occupait à ce
moment le ministère de la Police et du Renseignement. « Elle est nulle !
dit Sa Majesté, elle a pas d’flair, elle a pas réagi dès le début, j’veux une
solution au plus vite ! » Ce jugement circula et dans les gazettes on
titrait à propos de la duchesse de Saint-Jean-de-Luz : La femme à
abattre . Son entourage se clairsema. Un courtisan expliqua plaisamment qu’il
fallait tenir le pot de chambre aux ministres tant qu’ils étaient en puissance,
et le leur renverser sur la tête sitôt qu’on s’apercevait que le pied leur
commençait à glisser. « Elle a fait son temps », répétaient les
serviles.
    Néanmoins la duchesse assurait sa charge, même si Sa Majesté
l’avait placée sous la tutelle de M. le Cardinal et encadrée par une
théorie de fidèles sélectionnés par le Château. On la vit un jour constater l’incendie
du tunnel sous la Manche, le lendemain visiter les sinistrés d’une grave
inondation dans le Nord, et se trouver à Lourdes aussitôt après pour saluer
M. Benoît  XVI en voyage d’affaires.
Elle ne semblait jamais entamée par les rebuffades du Prince, à cause de ses
origines et de son expérience.
    La duchesse de Saint-Jean-de-Luz était amidonnée, chevaline
et revêche d’allure, avec une mèche blonde qui lui roulait sur le front comme
une vague de l’Atlantique ; elle aimait le rugby, les forêts de pins et la
politique. Ses grands-parents comme ses parents avaient résisté aux Germains de
M. Hitler et aux slogans de M. Pétain, dont l’un faisait cependant le
programme de Notre Historique Majesté, Travail, Famille, Patrie. La mère
de la duchesse, qui avait dirigé une entreprise, lui avait appris à supporter
la mauvaiseté d’autrui et les piques qui devaient lui glisser dessus comme la
pluie sur les plumes d’un canard landais. Sous le roi Chirac, elle avait
commandé aux armées et s’y fit admettre en réveillonnant avec des brutes en
Afghanistan et en Côte-d’Ivoire où nous maintenions la paix en menant une
guerre. La duchesse avait appris à passer les troupes en revue et elle portait
le pantalon avec tant de naturel qu’à un huissier du Parlement, qui lui
signalait que les femmes n’y avaient point droit dans l’hémicycle, elle
répondit comme on donne un coup de cravache : « Vous voulez que je l’enlève ? »
    La duchesse de Saint-Jean-de-Luz exaspérait le Prince qu’en
retour elle ne pouvait souffrir, car elle ne parvenait toujours pas à s’imaginer
qu’il fût au sommet du pouvoir. Leurs échanges hérissés duraient depuis plus de
vingt ans, lorsqu’elle était déjà ministre et Sa Majesté un simple noueur d’intrigues.
Nicolas I er n’arrivait pas à s’en débarrasser et la duchesse le
provoquait dès qu’elle en avait l’occasion ; à Royan,
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