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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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mètres.
    Le climat se faisait lourd. Certains gendarmes
récalcitraient dans un article de leur gazette interne intitulé
« Déplacement de l’empereur Nicolas I er à Valence ».
Nous y apprenions que la visite de Sa Majesté avait mobilisé mille deux cent
soixante-cinq gendarmes, qu’il avait fallu couper une voie rapide, acheminer de
Lyon et par convoi spécial une passerelle pour l’aéronef impérial. Le
signataire du libelle, un commandant dur à cuire, se disait écœuré par ces
dépenses quand ses voitures de service affichaient deux cent cinquante mille
kilomètres au compteur et que l’État s’en moquait.
    Grâce aux mouchards électroniques disposés à notre insu, la
moindre chuchoterie était amplifiée, la moindre image tremblée se trouvait
servie brûlante sur cent mille lucarnes. Nous vivions dans un monde sans
secrets, l’aparté n’existait plus, or Notre Volubile Leader n’en avait cure et
il ne prenait aucune précaution avant de livrer son autosatisfaction et les
mauvaises manières dont il se flattait. Au-delà de lui-même, il n’y avait que
des connards  ; le Prince se faisait régulièrement les griffes sur
ses homologues étrangers, pour en tirer gloire, et les feuilles des pays
voisins se déchaînaient souvent contre ce Narcisse. Lors d’un déjeuner privé,
au Château, il voulut railler le commandeur Jospin qui, après un échec
électoral cuisant, s’était retiré de la vie politique. « Y en a des très
malins, disait Sa Majesté, mais ça les empêche pas d’perdre, alors qu’y en a d’autres
pas très intelligents qui se font réélire comme Zapatero. » Les gazettes
ibériques ne retinrent que la seconde partie de la phrase et enflèrent le
passage sur le Premier espagnol pour se déchaîner contre Notre Ahurissant
Despote. Les démentis ne servirent à rien, car on savait partout sa goujaterie.
    Leurs Majestés s’envolèrent cependant pour Madrid.
    Le Prince devait y signer des accords avec, précisément, ce
M. Zapatero, mais la visite d’État tourna presque tout de suite à l’événement
mondain. Les gazetiers ibériques n’eurent d’yeux que pour Madame. Au dîner de
gala, elle portait la grand-croix de Charles  III en sautoir, marcha royalement sur les tapis du Palais et s’assit comme les cent
vingt-neuf autres invités devant un plat d’asperges vertes et de langoustines,
papotant avec Juan Carlos de Bourbon, car ils étaient tous deux nés en Italie.
Sa Majesté sut se tenir et ne s’endormit point lorsque l’orchestre de la Garde
interpréta Le Carnaval des animaux de M. Saint-Saëns ; Madame
était radieuse comme une relique promenée dans les rues de Séville, tout
étincelante et douce. « J’ai adoré cette visite, dit-elle aux échotiers
qui se pressaient, même si elle s’est faite au pas de course. C’est un peu la
loi du genre. Je parle plusieurs langues mais très mal l’espagnol. Avec le roi
Juan Carlos nous avons bavardé en français, avec la reine Sophie en anglais. C’était
un plaisir d’être là. Les gazettes espagnoles ont été très aimables… »
    Madame avait raison d’être satisfaite, puisque la seule
image qui devait rester de ce voyage officiel, ce fut sa montée des marches du
palais de la Zarzuela, de dos, à côté de la princesse des Asturies. Toutes
deux, l’une en bleu foncé, l’autre en fuchsia, offraient au peuple le spectacle
de leurs derrières également ronds.

Chapitre V
     
    CE CHOUCHOU, QUEL BRAVE
TYPE. – LES HABITS NEUFS DE NICOLAS I er . – MADAME
POUSSE SES PIONS. – HADOPI MON AMOUR. – ULTRA-COURTE VICTOIRE
IMPÉRIALE EN EUROPE. – UN VIEUX JEUNE HOMME VERT. – PORTRAIT DU DUC
DE FRANCFORT. – CHANGER POUR NE RIEN CHANGER. – L’IMPORTUN DE
VERSAILLES. – LE MALAISE DE LA LANTERNE.
     
     
      U N JOUR QUE M ADAME RECEVAIT DANS un salon doré du
Château, pour les mieux impressionner, cinq lectrices sélectionnées par une
gazette féminine à gros tirage, et qu’elles conversaient entre dames de façon
presque détendue, le Prince fit son entrée, comme par hasard, et Madame feignit
la surprise :
    — Et voilà ! Dès qu’il y a des dames…
    Les dames rirent de cette saillie, car elles savaient la
réputation charmeuse du Pétillant Monarque, mais elles ne rirent point trop
haut, intimidées par cette complicité, admiratives de se retrouver dans l’intimité
de leur seigneur qui, rouge, les traits tirés mais en costume et cravate, un
mince
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