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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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deux premières dames ». Elles avaient des robes à lavallière, s’embrassaient,
saluaient, souriaient en couverture des magazines. Elles se retrouvèrent à
Baden-Baden, chez les Germains, l’une en Azzedine Alaïa et l’autre en Dior,
puis elle se revirent devant un blanc de pintade et foie de canard en croûte de
roseval. La Première américaine offrit à Madame une guitare de rocker, une
Gibson en acajou et épicéa massifs qui fut portraiturée dans les gazettes. On
saluait partout la simplicité de Madame et la spontanéité de la Première
américaine qui, à Buckingham Palace, n’avait pas hésité, ô sacrilège, à passer
sa main dans le dos de la reine vêtue en rose bonbon.
    Il importait peu aux peuples que les deux empereurs se
penchassent sur le problème insoluble qui consistait à distinguer les talibans
modérés des talibans féroces, puisqu’ils se ressemblaient beaucoup, avec leurs
turbans noirs et leurs barbes en taillis, et qu’on ne pouvait négocier qu’auprès
des modérés qui posaient moins de bombes que les autres. Foin de ces
finasseries afghanes ! Les deux premières dames interprétaient comme des
rouées de comédie leur rôle d’écran, sur quoi il faut s’attarder un court
instant en posant la question : qu’est-ce qu’un écran ? À quoi
sert-il ?
     
    Le mot
écran a trois définitions qui se contredisent mais auxquelles nos premières
dames sacrifièrent ensemble.
I. Panneau
servant à protéger de l’ardeur trop vive d’un foyer. Pare-étincelles , pare-feu .
2. Objet
interposé qui dissimule ou protège. Bouclier, Écran de verdure , de
fumée . Rideau.
3. Surface
sur laquelle on reproduit une image. Écran de projection. Écran
publicitaire .
     
    Ainsi étaient-elles, l’une comme l’autre, par leurs
minauderies ou leurs tenues, à la fois un paravent derrière lequel se cachait
la politique, dont elles nous épargnaient les étincelles et autres escarbilles,
mais aussi la représentation colorée et vivante de la mode comme du spectacle.
Pour en arriver à ce point de perfection, Madame était suivie, conseillée, mise
en scène par M. de Charon. Ce M. de Charon était le Premier valet de
chambre de Madame ; il prenait en charge ses moyens de communiquer, à l’instar
de son compère, Premier valet de chambre du Prince, M. de Louvrier ;
tous deux demeuraient auprès de leurs maîtres, tapis derrière une colonne ou
une portière, comme des ombres, et ne souffraient point la lumière crue qui les
dessinait trop.
    M. de Charon avait l’apparence massive, lourdaude et
rondouillarde d’un grossiste en charcuterie ; l’œil pervenche, le poil
tirant vers le roux, il portait des chemises brodées à ses initiales qu’il
ajustait au col avec d’épaisses cravates mal nouées ; son rang se devinait
surtout à ses Weston cirées comme des miroirs, car il n’avait point besoin de
se crotter au-dehors étant déjà tout crotté au-dedans : il mettait de la
bile derrière ses boutades, du curare dans ses médisances, il avait plus de
flair que de manières. Aux auteurs de notre patrimoine M. de Charon
préférait la lecture des feuilles de caniveau, qu’il alimentait grâce à ses
réseaux de familiers dans la haute police et le cabaret ; voilà pourquoi
sans doute Notre Farceuse Majesté s’amusa à le décorer des Arts et Lettres, une
médaille qui rejoignit au revers sa Légion d’honneur et ses palmes académiques,
prouvant par là l’inanité de ces breloques. Au rez-de-chaussée du Château, il
avait épinglé dans son petit bureau cent portraits de Madame, et vous tendait
une carte de visite ronflante, longue comme un menu de M. Guy Savoy chez
qui il se restaurait :
    M. de Charon, Premier valet de chambre de Madame,
Conseiller au Château, Vice-Président du Conseil économique, social et
environnemental, Conseiller rire et chanson de Sa Majesté, Âme damnée du
Prince, Préparateur agréé en poisons.
    Comme Notre Satanique Monocrate, M. de Charon avait un
goût très suivi de la vengeance personnelle. Ce faux nonchalant cousinait avec
les murènes de l’empereur romain Tibère, à Capri, qui déchiquetaient les
indésirables qu’il leur jetait, car, en fils de dentiste, M. de Charon
savait jouer des canines. Un temps mis à l’écart par l’ancienne impératrice
Cécilia, laquelle le traitait de gros inutile, ce fut lui qui lâcha dans des
gazettes les déboires de son nouvel époux, pour l’atteindre, elle. Lui
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