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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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fluorescent des phrases entières de M. Sartre, il barbouillait Les
Mots qu’il rendait du fait illisibles. Madame annonçait les stupéfiants
progrès de Chouchou ; hier il avait regardé avec elle La Mort à Venise de MM. Mann et Visconti, et ce soir il regarderait Pierrot le Fou de M. Godard. Un jour qu’il posait devant lui un exemplaire corné de
M. Zola, il avoua très fier qu’il avait lu dans la nuit tous les
« Rougeauds-Macquart », parce que Notre Avide Suzerain ne faisait
jamais les choses à demi, et quand il attrapait un auteur il voulait tout
savoir de lui, ainsi dut-il digérer l’intégrale de MM. Lubitsch, Sautet et
Woody Allen dont il vantait Prends l’oseille et tire-toi. Dans la
foulée, il décida que chaque école eût un ciné-club et pût écouter
M. Mozart parce que Madame l’avait emmené incognito au Châtelet entendre La
Flûte enchantée.
    Pour motiver Chouchou, Madame conviait des sommités
étrangères à leur table ; ils déjeunèrent avec MM. Dennis Hopper et
David Lynch, ou Mlle Faithfull qui s’étonna que Sa Majesté n’ait jamais
entendu parler de l’Illustre Fellini. Pfft ! Le Prince avait serré la main
de M. Leonard Cohen et M. Bob Dylan lui avait offert une ceinture
texane. Au Château, Sa Majesté s’esclaffa pendant un dîner auquel Madame avait
convié M. Houellebecq, duquel elle avait chanté un poème infantile. À la
même époque, on vit Chouchou arpenter des expositions à succès comme Picasso
et les maîtres , une sorte d’introduction à l’histoire de la peinture ;
une autre fois il resta en arrêt, le nez à trois centimètres du Désespéré de M. Gustave Courbet, et, puisqu’il s’abîmait dans la contemplation du
tableau, on crut un moment qu’il se regardait dans une glace.
    Les gazettes unanimes soulignaient l’effort de Madame et son
utilité : « Madame a apporté dans sa dot une Gauche mondaine et
médiatique. Principal bénéficiaire : Sa Majesté, qui affaiblit ainsi un
peu plus le Parti social. » Ou encore : « Madame, la conscience
de gauche de Nicolas I er . » De gauche ? Les pages de
mode féminine présentaient Madame en mannequin épanoui, joyeuse et complice,
cheveux détachés mais tailleur Dior, « ballerines pour faire honneur à son
mari » notait l’échotière qui songeait aux talonnettes impériales, mais
Madame était-elle de gauche parce qu’elle pinçait les cordes de sa guitare et
livrait depuis huit ans ses pensées secrètes à un psychanalyste ? Sa
Majesté mit son grain de sel : « Elle est plus complexe que ça pour
être qualifiée d’un adjectif.  » On vit qu’en grammaire, si la
Gauche n’était point un nom, Notre Fripon Monarque n’était pas au mieux de sa
forme, et qu’en matière d’adjectif, c’était lui qui était gauche et Madame
adroite puisque effectivement son image la reliait à ce Café de Flore qui
symbolisait pour le Prince la plupart des vices intellectuels, dont la syntaxe,
quand à sa terrasse ne s’asseyaient plus désormais, à la saison chaude, que des
touristes japonais. Notre Phénoménal Souverain confondait les époques, il
devait encore imaginer Mme Gréco, la sirène de Saint-Germain-des-Prés,
attablée aux côtés de M. Sartre qui l’épiait en louchant. Le Prince
voulait-il Mme Gréco ? Il allait l’avoir dans ses filets, mais il
remontait pour l’heure à la surface d’autres poissons dont Madame lui glissait
les noms dans le tuyau de l’oreille. Ce fut elle qui évoqua M. Frédéric,
le neveu dégingandé et fort dandy de l’ancien roi Mitterrand, qu’elle avait
rencontré dans une soirée parisienne. À cause de son nom qui chantait la Gauche
en triomphe, quoique lui-même eût toujours été de la Droite, avec un cœur de
midinette et une popularité qu’il devait à ses récits sucrés de la vie
audacieuse de Grace Kelly ou de Lana Turner, racontée en phrases longues d’une
voix qui traînait, M. Frédéric fut nommé duc de Médicis, à Rome où nous
possédions une enclave artistique ; si on reprochait au Prince ce genre de
connivences, il s’enflammait : « S’y en a qu’ça démange de vouloir
critiquer, eh ben faut savoir que j’vais pas m’interdire d’nommer des personnes
sous prétexte qu’elles sont proches de mon épouse ! »
    Parmi ces proches figurait le patron et actionnaire
principal d’une feuille satirique qui fut libertaire et mal embouchée, avant qu’il
la jugulât en la tirant au
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