Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
inhumaine. » Sa Majesté n’avait en effet plus rien d’humain.
     
    Le deuxième anniversaire du règne fut d’une profonde
discrétion, point de liesse ordonnée, point de manifestations spontanées, à
peine quelques feuilles soulignèrent-elles un bilan maigrelet et des promesses
en l’air ; leur seul feu d’artifice vint de ces panoramas qui présentaient
le Prince en gibier de caricature, chez nous comme dans les Royaumes proches. L’indifférence
dominait ; les autorités, dont celle de Sa Majesté, se dégradaient. Le
peuple avait appris à se méfier, il se réfugiait dans un art de la débrouille
qui renforçait son égoïsme : rien ne lui semblait plus crédible ni
légitime quand on s’adressait à lui ; berné, il cultivait son jardin.
Voici pourquoi les élections au Parlement de l’Europe furent décevantes et peu
suivies. Cependant, pour mobiliser les impériaux, on en ramassa trois mille
dans un vaste espace où une chorale de jeunes en capuches blanches chanta l’ Hymne
à l’amour accompagnée par des cornemuses, des tubas et des mandolines. Puis
Madame déclara qu’elle donnait sa voix, ou ce qui en restait, à son mari, et on
vit Leurs Majestés voter ensemble au lycée Jean-de-La-Fontaine, à quelques pas
du stade Roland-Garros où ils avaient des habitudes.
    Le Parti impérial l’emporta une fois encore mais sans réunir
grand nombre ; si on calculait en fonction des votants réels sur l’ensemble
des inscrits, Notre Prince fut déclaré vainqueur avec 10,8 % des voix, et
cela signifiait que 89 % de ses sujets lui tournaient le dos. L’opposition
s’était évaporée ; le Parti social comme celui de M. Bayrou qu’on
surnommait François-Sans-Terre, à cause de son duché perdu en Béarn et de cent
combats qui n’aboutirent pas, s’en trouvèrent affaiblis jusqu’au riquiqui pour
avoir oublié l’Europe, qui était le propos, se concentrant dans la seule
attaque contre Notre Sidérant Leader ; or, chacun appelait une alternative
plutôt que des criailleries. Le Parti social contemplant son nombril en
virgule, il manqua d’être doublé par celui des Verts qui prônait une nature
propre, un retour au soleil et à la soupe de légumes, ce qui retint la
sympathie avec un rien de nostalgie. Cette poussée verte fut manœuvrée par le
duc de Francfort, M. Cohn-Bendit, qui aimait en scène avoir le verbe haut
et différent.
    Le duc de Francfort devint célèbre à vingt-trois ans par ses
manières de lutin, son poil roux, sa facilité à blaguer pour rallier un
auditoire, toujours concret, espiègle et rigolard. Présentement, avec quarante
années de plus, il s’était arrondi du ventre et des joues, ses cheveux
grisonnaient, et, avec son regard bleu derrière des lunettes rondes, il avait
pris l’aspect de ce M. Goldfinger qui autrefois affrontait M. James
Bond. Il avait des restes d’une excellente éducation libertaire et des grâces
même quand il voulait, et il le voulait très souvent. Il avait aussi toute la
malignité et toutes les adresses pour accroître sa parole par des manipulations
fines et déroutantes, n’étant jamais où l’on croyait, avec des audaces et de l’emportement.
    Nous vîmes éclore son sens de la repartie pendant l’hiver de
1967. C’était dans un grand amphithéâtre de la Faculté de Nanterre dont les
bâtiments neufs, glaciaux et déjà vieillots étaient plantés sur un ancien
terrain de l’armée de l’Air, en bordure du bidonville géant que fit raser plus
tard le marquis Chaban d’Elmas. Les étudiants y erraient entre deux cours, loin
de Paris, car il fallait alors une heure et demie pour rejoindre la place de l’Étoile,
en changeant de coche. Un soir à la Faculté, donc, les forcenés du Living
Theatre y donnèrent une séance longue, lente, ennuyeuse où, pendant une
éternité, assis en crapauds, ils dévidaient les mêmes mots comme un mantra, à
propos de cette guerre du Vietnam que la jeunesse du monde rejetait :
«  Stop the war … Stop the war … Arrêtez le guerre … »
Le duc de Francfort se leva soudain dans une travée et cria de sa voix qui
portait : « S’agit pas de l’arrêter, la guerre, mais de la
gagner ! » Ce furent ses premiers vrais applaudissements de comédien.
Au mois de janvier suivant, le jeune duc réitéra, s’en prenant au ministre qui
venait inaugurer une piscine, M. de Missoffe. Le duc de Francfort lui
coupa la parole pour débiter ses doléances : « Vous
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher