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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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politique pour éviter la taule et la
faillite. » Sa Majesté vénérait son programme, lequel consistait à
promouvoir l’image des nouveaux riches en persiflant contre la Crise, cette
invention de gratte-papier. Don Silvio avait franchi le cap des soixante-dix
ans mais il était ravalé entièrement, lisse, teint, repeint, tiré, faux
cheveux, fausses dents pour sourires faux, hâlé comme un mannequin de vitrine,
toujours entouré de beautés élancées, vénales, peu couvertes et pleines de
pulpe. Son épouse lui reprochait son goût des jeunes filles et des fêtes
dénudées dans la villa Certosa, vaste domaine avec un bunker antinucléaire au
bord d’une mer transparente, un volcan artificiel pour réjouir ses invités, une
piscine en forme de palme, un théâtre à la grecque, des lacs artificiels, un
jardin de cactus. Pour l’heure, don Silvio se sentait invulnérable. Les
gazettes, les ondes, les lucarnes lui appartenaient en entier ou à peu
près ; à son épouse en furie qui réclamait le divorce à cause de
permanentes bacchanales, il fit répliquer dans ses feuilles, pour la détruire,
par des bordées de calomnies et d’anciennes images osées. D’accusé, don Silvio
se mua en victime, réussissant l’une des stratégies favorites de Notre
Prince ; « Quel homme, ce Silvio ! » pensait ce dernier à
part soi, car Madame détestait cet Italien hâbleur comme les Italiens la
détestaient, elle, qu’ils soupçonnaient de jouer contre son pays natal.
     
    Entre-temps, Notre Démesuré Seigneur avait enfin rencontré
M. Obama sur notre sol, et il avait même posé à ses côtés pour solidifier
sa gloire. Afin de réussir la prouesse, ses Conseillers avaient ausculté le
calendrier, puis choisi l’occasion naturelle qu’ils trouvèrent dans les
célébrations du Débarquement. Le Prince en fit illico une fête
franco-américaine, au mépris des autres participants réduits à l’état de
figurants. Notre Inspiré Leader écrivait l’Histoire à sa guise, mais quand il
oublia d’inviter la reine d’Angleterre, celle-ci en fut vexée comme une puce et
cela manqua tourner à l’incident diplomatique ; M. Obama fit inviter
son fils Charles pour rafistoler le protocole. Après un échange de généralités
dans un salon de Caen, où Sa Majesté salua le foulard musulman pour se montrer
au diapason de son hôte, si tolérant, les festivités eurent principalement lieu
au cimetière de Colleville, une terrasse sur la mer où s’alignaient des
milliers de stèles blanches ; sous le gazon tondu dormaient depuis
soixante-cinq ans des soldats du Nouveau Monde fauchés à la mitrailleuse par
les Germains. Ce bout de territoire ayant été offert à l’Amérique, par malice
ou pour le camouflet ce fut M. Obama qui reçut Notre Prince en France. Il
y eut des discours fort nobles, tissés de beaux sentiments et de trémolos
convenus, même un couac de Lord Brown, le Premier anglais, qui confondit Omaha
Beach et Obama Beach ; puis chacun s’en retourna. M. Obama avait
triomphé, les ovations avaient été toutes pour lui, et soutenues, mais il n’avait
aucune envie de prolonger la soirée en tête à tête avec Notre Envieux Monarque.
Les services américains refusèrent le dîner prévu au Château, ce qui froissa
Notre Piteux Leader, mais il s’en défendit par un mensonge de
coquetterie : « Vous croyez qu’on a pas aut’chose à faire que d’faire
des belles photos en papier glacé ? » M. Obama avait en effet d’autres
occupations. Il retrouva à Paris ses filles qui avaient visité la capitale en
bateau-mouche ; en famille ils allèrent à Notre-Dame où, rien que pour
eux, on avait sorti des reliques fabriquées au Moyen Âge, une couronne d’épines
et un morceau de la croix devant quoi se recueillirent nos invités, qui
allumèrent un cierge au pied d’un Christ noir, puis ils écoutèrent des enfants
de chœur chanter deux motets de Mendelssohn. Le soir, dans un bistrot de la rue
Saint-Dominique, La Fontaine de Mars, ils mangèrent en famille du gigot et
burent de l’eau ; ce triste menu n’empêcha point l’établissement,
désormais célèbre, de devenir un lieu de pèlerinage ; les clients
demandaient la chaise où le fameux postère avait laissé son empreinte, et ils
baisaient le rebord de la table, et ils méditaient devant l’assiette creuse où
l’idole avait avalé à la cuiller une île flottante ; les recettes du
bistrot augmentèrent magiquement de
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