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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
Autoren: Patrick Rambaud
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traitaient de folle et d’illuminée, le Prince ne participait
point à la curée des impériaux qu’il avait lâchés comme des teignes après elle.
L’archiduchesse n’en avait cure ; magnifiée sous les insultes, et,
surtout, par sa méthode et son vouloir, elle ressemblait trait pour trait au
Prince qu’elle voulait un jour remplacer sur le trône, croyant que la première
tentative lui avait permis d’entraîner après elle plus de dix-sept millions de
citoyens, parce qu’elle refusait la mathématique et que nombre de ceux-ci
avaient plutôt voté contre Nicolas I er que pour l’archiduchesse.
    Il faut s’arrêter ici un instant pour mettre en regard les
stratagèmes de l’archiduchesse et de Notre Adorable Autocrate ; faire une
sorte de calque qu’on juxtaposerait pour montrer une ressemblance qui troublait
mais servait le Prince, car à quoi bon rejeter celui-ci et le remplacer par une
sœur jumelle : ils jouaient une même musique avec les mêmes instruments. Moi
d’abord était leur devise, pareillement autosatisfaits et contents de soi.
Afin qu’on les aimât ils posèrent souventes fois en victimes. Sa Majesté
répétait que les gazettes étaient injustes et mordantes, quand la plupart lui
léchaient les souliers. L’archiduchesse se sentait diffamée et injuriée ;
lorsqu’elle fut cambriolée pour la troisième fois, dans son rez-de-chaussée des
Hauts-de-Seine, elle posa en martyre de sa cause. « Je me sens écoutée,
dit-elle, mes allées et venues sont espionnées. » Aussitôt elle désigna le
Prince, parce que la veille elle avait mis en cause ses relations puissantes et
riches, ce qui lui permit d’ajouter : « On chamboule mon appartement,
on remue les tiroirs et on ne me vole rien, c’est qu’on veut m’intimider, que
je me taise. » Précisons que l’enquête de la police ne mena nulle part,
quand tout avait été mis en œuvre pour retrouver en quelques heures le scooter
volé du Prince Jean…
    Se présenter en victime était déjà une recette efficace dans
l’Athènes de Solon. Voyons comment, par un subterfuge, le démagogue Pisistrate
devint tyran. Il avait déjà du prestige chez les paysans pauvres et les
commerçants qu’il appuyait par des harangues contre le pouvoir ; un jour,
il traversa la ville tout éclaboussé du sang d’un poulet. « On a voulu me
tuer ! » criait-il, puis il réclama une garde pour se protéger, ce
qui lui fut accordé, et avec il s’empara du trône par les armes. De nos jours,
mêmement, il fallait une armée pour grimper sur le trône, cela se nommait un
Parti, qu’on devait au préalable dompter. Sa Majesté dut passer par cette voie
et l’archiduchesse pensait y parvenir. Tous deux méprisaient leur camp et qui
le composait ; ils criaient comme Pisistrate : « Ils nous
détestent parce que nous sommes différents ! » L’une venait d’un
milieu de droite, catholique et provincial ; l’autre d’un père hongrois et
d’une mère sans le sou. Les deux voulaient une revanche sur les leurs. Le
Prince avait été honni et chargé de quolibets quand il avait trahi le roi
Chirac, l’archiduchesse parce que les généraux du Parti social la traitaient de
cruche. Les deux voulurent domestiquer leur Parti en écartant les barons et
mieux séduire la piétaille. Lorsque le Prince avait soudoyé pour son
gouvernement des personnes marquées à Gauche, c’était afin de miner ses
adversaires mais aussi ses amis , lesquels, autrefois, l’avaient
maltraité ; lorsque l’archiduchesse fut choisie pour mener la Gauche à l’élection
impériale, elle le dut à sa popularité en dehors de son Parti ; elle
savait que moins les gens étaient diplômés et plus ils l’approuvaient.
    Ainsi que Notre Larmoyant Despote, l’archiduchesse avait un
sens aigu du mélodrame ; il fallait faire pleurer mais en public
seulement, pour gagner des appuis en usant de l’émotion voire de la compassion,
et que celle-ci fût jouée ne comptait pas pourvu qu’on y crût et qu’elle fût
artistement interprétée. Afin d’être plus vrai, on pouvait porter sur soi un
oignon épluché et s’en tamponner discrètement le coin de la paupière pour qu’y
surgît une larme brillante à l’image. Dans un débat très regardé, on vit l’archiduchesse
marcher vers un paralytique et le toucher en mimant l’amour de l’humanité
souffrante ; beaucoup crurent que le malade incurable allait se lever
soudain de sa chaise roulante,
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