Spartacus
tumulus.
J’ai bondi de côté. J’ai lancé mes ordres, et les soldats ont commencé de déblayer les pierres.
Un corps est apparu, la peau sèche et noire comme du cuir.
Les doigts, déjà ceux d’un squelette, enserraient la tête que l’on avait placée sur sa poitrine.
Les survivants nous avaient dit que Spartacus l’avait décapité d’un coup de lame.
Crassus s’est penché.
— Brûle-le avec les autres, a-t-il dit.
J’ai rejoint Crassus après que les bûchers dressés au pied des murailles de Thurii furent éteints et que les corps furent devenus cette cendre grise que le vent soulevait et mêlait au sable blanc.
Le proconsul était assis dans son fauteuil de bois et de cuir planté au faîte d’une colline qui dominait le rivage, le golfe de Tarente, et permettait ainsi d’embrasser l’horizon maritime et terrestre.
Là, il avait fait dresser sa vaste tente dans laquelle s’affairaient ses esclaves. Des soldats avaient élevé une palissade pour protéger le lieu du vent. Mais la toile de la tente claquait.
En gravissant la colline, j’ai vu deux soldats qui enfouissaient le corps d’un homme dont le cadavre avait été trouvé au sommet.
L’homme avait été égorgé. Et, bien qu’ayant été déchiqueté, on devinait les traits de son visage, la couleur noirâtre de sa peau. J’ai pensé aussitôt qu’il devait s’agir de l’un de ces pirates dont les survivants avaient aperçu les navires dans le golfe.
Caesar se tenait auprès de Crassus qui soliloquait en me décochant des coups d’œil. J’ai incliné la tête pour lui indiquer que la tâche qu’il m’avait confiée était accomplie.
— Sais-tu, Fuscus, que ce chien de Spartacus avait dressé sa tente ici ?
Crassus a frappé le sol du pied.
— Il joue au consul des esclaves. Il imagine qu’il va faire de son troupeau une armée parce qu’il a décapité un Gaulois ! Mais on ne change pas en quelques jours des esclaves en soldats ! Il faut des lustres et des lustres ! C’est comme prendre une pièce de fer, la mettre au feu, la marteler, la courber, l’affuter pour en faire une lame tranchante. Nous ne lui laisserons pas le temps de la forger !
Il s’est levé, s’est dirigé au-delà de la palissade, et Caesar et moi l’avons suivi.
— Il a dû essayer d’obtenir que les pirates ciliciens les fassent passer, lui et sa horde, en Sicile. Tu as vu le mort, Fuscus Salinator ? C’est un pirate. Spartacus a dû être trompé par les Ciliciens. Je connais Axios et ses félonies. Il n’est pas homme à aider un vaincu. Il a dû jauger Spartacus, lui tendre un piège, le dépouiller, puis hisser les voiles. Axios me craint. Nous avons autrefois conclu des traités. Puis nous nous sommes battus. Axios a toujours su s’arrêter avant que Rome ne décide de nettoyer la mer. Il nous aide parfois, comme un chien errant qui chasse les loups.
Le vent s’est levé, soufflant par rafales. Un grain noir courait le long de l’horizon et l’on distinguait les rayures de la pluie tissant entre mer et ciel un rideau sombre.
— Spartacus marche sur Rhegium, a dit Crassus en pénétrant sous les tentes. Il espère encore passer en Sicile, sinon, pourquoi irait-il s’enfoncer dans cette nasse, ce bout de terre où nous allons l’enfermer, nouant le sac que nous n’aurons plus qu’à frapper à coups redoublés ?
Du bout de sa sandale, Licinius Crassus a dessiné trois traits parallèles. Celui du milieu représentait les monts Silas. C’était la route que devaient emprunter les esclaves.
— Ils sont dans la neige et le froid. Ils s’épuisent, a commenté Crassus.
Les légions chemineraient le long des côtes que représentaient les deux autres traits.
— Nous allons le repousser jusqu’au bout du Bruttium, jusqu’au fond du sac. Puis…
Crassus s’est penché, et, d’un vif mouvement de la main, il a tracé un sillon coupant les trois droites parallèles.
— … nous creuserons un fossé. Nous dresserons une palissade. Et il sera pris, enfermé. Et, si nous le pouvons, nous les capturerons tous vivants.
Il s’est redressé.
— Je vous l’ai dit, je veux qu’on ne se souvienne que de leur mort.
J’étais son légat, mais le ton de sa voix, l’expression de son visage m’ont fait frissonner.
56
— Ce légat s’appelait Gaius Fuscus Salinator.
Les hommes de Curius l’avaient capturé alors qu’il chevauchait, escorté de deux centurions, le long
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