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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle
Autoren: Victor Serge
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qui entrait, marchait sur lui, regardant tout – le lit défait, la
tinette, la table nette, un croûton de pain, tout, et même l’homme, le
prisonnier : son caleçon douteux, sa chemise ouverte sur la poitrine velue,
ses pieds nus, bruns comme ceux des tziganes et velus aussi.
    – Qu’est-ce qu’il y a, citoyen ?
    Il n’y avait rien. Plus rien. Que j’aie peut-être failli
mourir, après tout, cela n’a aucune importance pour toi, citoyen, pour ces murs,
pour Eux. Mikhaïl Ivanovitch le sentit mieux qu’il ne le pensa, avec un peu de
pitié pour lui-même mêlée de brusque colère contre eux. Il fronça les sourcils,
ses narines se gonflèrent comme quand il devenait mauvais, il dit poliment, méchamment
(il n’était jamais plus poli que quand la méchanceté faisait trembler ses
narines et cela se voyait très bien) :
    – Rien. J’ai cru me sentir mal. Excusez-moi, estimé
camarade, de vous avoir dérangé.
    Le gardien le considérait avec des yeux humains : bruns,
sagaces, dépourvus de bonté, – ah ! des yeux qui faisaient admirablement
leur service :
    – Oui… Vous êtes en sueur. Ça arrive. Recouchez-vous. Je
vous enverrai demain le médecin.
    Ça arrive ? Qu’est-ce qui arrive ? Mikhaïl
Ivanovitch se recouchait, se couvrait.
    – Ne prenez pas tant de peine, dit-il en souriant, – c’est
inutile. Votre médecin, je le mettrai à la porte, cher camarade.
    Il se tourna contre le mur avec brusquerie. Les yeux sagaces
l’observèrent une seconde, attentivement. Le verrou fut tiré, il y eut le
silence, la lumière nocturne, les aspérités du mur peint en gris, le faible
bien-être du corps détendu après la crise, l’approche du sommeil, les dernières
pensées d’avant le sommeil, presque toujours les mêmes : celles que l’on
veut, celles que l’on ne veut pas.
    … Ce n’est jamais fini de vivre
et tous les jours on est le même
vaine, vaine, vaine peine…
    Le cœur battait avec régularité.
    Sous la fenêtre, dans l’angle sombre, l’humidité
amollissait la peinture du mur. Mikhaïl Ivanovitch donnait là, chaque matin, un
coup d’ongle ; tous les sept jours, il traçait un trait plus long, – et c’était
son calendrier. « Déjà quatre mois ! » La durée apaisait, bien
que ce fut insensé, toute cette histoire. On ne s’occupait plus de lui, il n’envoyait
qu’une fois par semaine quelques mots d’inutile protestation au Procureur
chargé du Contrôle ou à d’autres hauts fonctionnaires. Fumistes ! Mystificateurs !
De fiers gredins, en vérité. Le repos de la cellule faisait son œuvre, il se
sentait un peu mieux après tous les surmenages, – rongé pourtant le soir par l’inquiétude,
à cause de cette douleur dans la région du cœur qui revenait tous les trois, quatre
jours. Il demandait le médecin. Vers onze heures, le lendemain, le premier
surveillant entrait doucement, jetait un regard attentif sur les barreaux de la
fenêtre, la table nue, le parquet ciré, s’assurait :
    – Vous avez demandé le médecin ?
    Puis se montrait un personnage en blouse blanche et d’une
voix totalement neutre, avec un regard si neutre aussi qu’il paraissait ne rien
voir :
    – De quoi vous plaignez-vous ?
    La première fois, Mikhaïl Ivanovitch expliqua posément qu’il
souffrait du cœur. Le personnage en blouse blanche portait une boîte suspendue
sur sa poitrine, il l’ouvrit, tira d’un cassetin, avec une pincette, trois
petites pilules et dit :
    – Une tous les matins.
    La porte refermée, Mikhaïl Ivanovitch éclata d’un fou rire. Cette
pilule toute prête, pour calmer, ravigoter, tonifier, guérir peut-être, un cœur
inconnu, cette perfection du mécanisme : l’homme, la blouse blanche, la
petite boîte, la pincette, la pilule, atteignaient à l’imbécillité absolue. Le
guichet s’entrebâilla, une voix sifflante fit :
    – Citoyen, il est défendu de rire.
    Mikhaïl Ivanovitch pouffa de nouveau, plus fort. La porte s’ouvrit,
un robuste paysan en uniforme fit deux pas dans la cellule et sévèrement :
    – Je vous prie, citoyen, de cesser de rire. C’est
défendu.
    Mikhaïl Ivanovitch se sentit devenir joyeusement fou. Les
trois pilules sur la table prenaient une teinte vert feu, elles allaient sauter
toutes seules, en l’air, s’enfler en têtes de baudruche, se fendre d’un rire
énorme. Il fut sur le point de gueuler, de trépigner, car son rire se gonflait
de fureur et des larmes embuaient ses
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