Shogun
« Laissez-le
assister, lui aussi. En tant que témoin. Il est responsable de leurs morts. Il
doit en être le témoin.
— Anjin-san, allez-y ! Rejoignez
Naga-san, compris ?
— Oui, Yabu-san. J’ai compris, mais
pourquoi ?
— Pour être témoin.
— Je ne comprends pas.
— Mariko-san, expliquez-lui ce qu’est un “témoin”.
Yabu se retourna et s’en alla en dissimulant sa satisfaction.
Jozen hurla : « Yabu-sama ! Je
vous en prie ! Yabuuuuu-samaaaaaa ! »
Blackthorne assista à l’exécution. Il retourna
ensuite chez lui. Le saké ne lui enleva pas le mauvais goût qu’il avait dans la
bouche. L’encens ne chassa pas la puanteur de ses narines.
Yabu le fit chercher un peu plus tard.
L’attaque fut disséquée, point par point. Omi et Naga étaient avec Mariko. Naga
était froid, comme d’habitude. Il écoutait et commentait rarement. Personne ne
semblait affecté par l’événement du jour. Ils travaillèrent bien après le
coucher du soleil. Yabu ordonna que le rythme des entraînements soit accéléré.
Cinq cents hommes supplémentaires devaient être immédiatement formés. Un autre
groupe une semaine plus tard.
Blackthorne rentra seul chez lui. Il mangea
seul, troublé par son horrible découverte. Ils n’ont aucun sens du
péché. Ils n’ont pas de conscience, même Mariko. Il ne put
dormir cette nuit-là. Il quitta la maison ; le vent le harcelait ;
des rafales faisaient moutonner les vagues. Des chiens aboyaient à la lune et
s’agitaient. Les toits en paille de riz bougeaient comme des choses vivantes.
Des volets claquaient. Des hommes et femmes luttaient pour les fermer. La marée
montait rapidement. Tous les bateaux de pêche avaient été mis à l’abri plus
haut que d’habitude, sur la plage. Il longea le rivage puis revint chez lui en
luttant contre le vent. Il n’avait rencontré personne. La pluie tombait à
verse. Il arriva complètement trempé. Fujiko l’attendait sous la véranda. Le
vent la bousculait et faisait vaciller la flamme du fanal. Tout le monde était
debout. Des serviteurs transportaient les affaires de valeur dans la petite
maison de pierre, au fond du jardin.
La tempête ne menaçait pas encore. Un pan du
toit de tuiles se détacha sous une bourrasque ce vent et le toit de la maison
trembla. Les tuiles tombèrent en faisant grand bruit. Certains serviteurs se
précipitèrent pour remplir les seaux, d’autres pour essayer de réparer le toit.
Le vieux jardinier, Ueki-ya, aidé par les enfants, attachait les buissons
fragiles et les arbustes à des tuteurs en bambou.
Une autre rafale ébranla la maison.
« Tout va s’écrouler, Mariko-san. »
Elle ne dit rien. Le vent la harcelait. Il regarda le village. Des débris
voletaient partout. Blackthorne se retourna affolé en voyant s’envoler un
panneau de sa chambre. Le mur disparut. Celui d’en face également. Les quatre
murs partirent en morceaux. Il voyait à travers la maison, mais la charpente
tint bon et le toit de tuiles ne bougea pas. Les couvertures, les lanternes et
les nattes s’envolèrent. Les serviteurs partirent à leur poursuite.
Personne n’était gravement blessé. À l’aube,
le vent tomba et les habitants se mirent à reconstruire leurs maisons. À midi,
les murs étaient à nouveau debout et la moitié du village avait retrouvé son
allure normale. Omi s’approcha de sa démarche sautillante, les yeux fixés sur
Blackthorne. « Bonjour, Anjin-san, dit-il.
— Bonjour, Omi-san. Votre maison est-elle
intacte ?
— Oui, merci. Vous allez bien ? Pas
d’ennuis ?
— Très bien, aujourd’hui. Et
vous ? »
Omi parla à perdre haleine.
« Désolé mais je ne comprends pas, dit
Blackthorne.
— La journée d’hier vous a-t-elle
plu ? L’attaque ? La fausse bataille ?
— Ah, je comprends. Oui, elle m’a
beaucoup plu.
— Et le spectacle ?
— Pardon ?
— Le spectacle ! Le ronin Nebara Jozen et ses hommes ! » Omi imita la charge à la
baïonnette dans un éclat de rire.
« Vous avez assisté à leur mort.
Mort ! Vous comprenez ?
— Ah, oui. En vérité, Omi-san, pas aimer
les tueries.
— Karma, Anjin-san.
— Karma. Exercice,
aujourd’hui ?
— Oui. Mais Yabu-sama veut parler. Plus
tard. Compris, Anjin-san ? Parler seulement. Plus tard, répéta Omi
patiemment.
— Parler seulement. Compris.
— Vous commencez à bien parler notre
langue. Oui, très bien.
— Merci. Difficile. Peu de temps.
— Oui,
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