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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin
Autoren: Louise Thériault
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comment il a eu l’effronterie d’écrire l’heptade , comment a-t-il osé viser si grand, si large. Il me
répondrait probablement qu’il n’a rien visé du tout, que
c’est la musique elle-même qui l’a visé lui, et qu’il s’est juste
contenté de ne pas la déranger, qu’il était dans la «   zone   »,
comme disent les athlètes. Il a probablement un peu raison, mais toujours est-il qu’au départ, ça aide si l’homme
qui est dans la zone est un musicien redoutable. J’aurais
beau m’enlever du chemin jusqu’à demain matin, je ne
crois pas que j’accoucherais de Chanson noire de sitôt.
Et bien sûr, je ne minimise pas l’apport extraordinaire de
tous ces artistes qui l’ont accompagné dans cette aventure,
chacun a trouvé sa place pour enrichir le matériel. Mais
quel matériel   ! Je déteste les palmarès, mais je tiens l’heptade pour le plus grand album québécois que j’ai entendu. Un objet en soi, une œuvre singulière, d’une richesse inouïe, de la très grande musique.
     
    Me reconnaissez-vous   ?
    C’est moi le crisse de fou qui marche sur la ville
     
    Et puis il y a Serge.
    Une âme en forme de guitare, de la musique avec des
gros doigts. Que même lorsqu’il parle, il chante. Il prend les
mots par la taille et les fait danser jusqu’à la fin de sa phrase. C’est mélodieux, ça coule le plus simplement du monde. Que ce soit pour dire des bêtises, parler de hockey, de
sexe ou de politique, ça chante. Il a littéralement de la musique sur le bout du cœur. C’est une chanson, cet homme.
    C’était une idole de jeunesse. C’est devenu mon ami. Et
je n’arrive toujours pas tout à fait à réconcilier les deux.
C’est que Serge ne ressemble pas vraiment à l’idée que je
me faisais de lui, il ne ressemble pas du tout à ce gourou en
salopette blanche que je m’imaginais. Il n’est pas un «   fou   »
de Jésus et il ne mange jamais de luzerne. Il ressemble en
fait à sa musique   : simple, complexe, chaleureux et fragile.
D’une candeur désarmante. Et drôle   ! Capable des pires pitreries. Capable aussi d’une affection franche et généreuse
quand il se sent en confiance. Un être d’instinct et d’émotion qui n’a jamais trahi son enfance. Un ti-cul. Facile à
trouver, dur à attraper, parce que fragile et échaudé. Parce
qu’il négocie avec cette folie qui parfois lui fait mal et qui
parfois lui donne accès aux bonheurs les plus simples.
    J’étais chez Serge avec Henri, mon fils de quatre ans. Je
me souviens que c’était l’après-midi et qu’il faisait soleil.
Serge a sorti sa guitare, ce qu’il ne fait pas souvent. Mon
gars, qui adore la musique et qui connaît Harmonium,
s’approche de lui pour voir l’instrument de plus près. Serge commence à jouer doucement et puis tout d’un coup,
comme ça, sans avertissement, les accords d’ Un musicien
parmi tant d’autres retentissent dans la pièce. Et je suis sidéré parce que ça n’arrive jamais. Et mon fils qui sourit en
tapant du pied. Et moi je ne bouge pas, parce que je me dis
que, putain   ! mais c’est qu’il va la chanter   ! Et puis la voix,
la voix de mon frère, cette voix qui m’accompagne depuis
trente ans, résonne dans le salon ensoleillé   ! Une main sur
une épaule, chacun a bien joué son rôle… Et je fais comme
si c’était normal, parce que je ne veux pas en faire de cas,
parce que je ne veux rien déranger. Et soudainement je ne
suis plus chez mon ami, je suis chez Serge Fiori et je me
demande comment j’ai bien pu faire pour aboutir là. Et j’ai
le cœur qui bat trop fort. Il en est à la moitié de la chanson,
il va sûrement se rendre jusqu’au refrain final…
    Et une voix. Une petite voix qui dit   : «   Non pas celle-là,
chante l’autre…   » C’est mon garçon qui demande à Serge
Fiori d’arrêter de chanter Un musicien parmi tant d’autres parce qu’il veut entendre Histoire sans paroles . Et Serge qui
éclate de rire et qui se retourne vers moi en disant   : «   C’est
tellement parfait, ça peut pas être plus parfait…   »
    Et puis les accords d’ Histoire sans paroles . Et Henri et
Serge qui commencent à fredonner cet air si merveilleux.
Et je me joins à eux. Et je sais que c’est à cause d’Henri que
Serge a chanté.
    Et nous voilà trois dans la pièce ensoleillée   ; une petite gang qui chante une toune d’Harmonium.
     
    Envie de dire merci à mon ami. Je ne
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