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Romandie

Romandie

Titel: Romandie
Autoren: Maurice Denuzière
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de les
rendre moins voyantes. La moquerie de Louis Vuippens, fixant ses pieds, l’avait
agacé.
    — Je dois ces œuvres d’art podologiques au valet de
Madame, que j’ai dû épouser en même temps qu’elle, cher ami ! Un héritage
de mon prédécesseur, lança Martin avec humeur.
    — Mais voyons, Martin, c’est une chance d’avoir pareil
frotteur à domicile, dit Blaise.
    — Ah ! oui, parlons-en ! Cet être asexué et
chauve est une sorte de nemrod ancillaire. Plumeau sous le bras, chiffon à la
main, il pourchasse du matin au soir la poussière avec l’obstination perverse d’un
inquisiteur poursuivant l’hérésie. Et il encaustique si bien les parquets qu’on
patine d’une pièce à l’autre ! Et puis, taches, faux plis, accrocs, sitôt
repérés, sont résorbés sur l’heure. Il tient en permanence ses fers au feu, car
le repassage semble lui procurer une louche délectation. Il repasse tout… y
compris les camisoles et chemises de nuit de M me  Chantenoz, ce
que je trouve indécent ! Je m’attends, d’un jour à l’autre, à être
moi-même repassé tout vif ! Si vous me voyez plat comme une carpette, ce
sera l’œuvre du cher Basil !
    Les rires fusèrent et Aricie prit la défense de son
valet-femme de chambre.
    — C’est un serviteur stylé, d’un sérieux exemplaire, d’un
grand dévouement et d’une parfaite discrétion. Il s’est pris depuis longtemps d’affection
pour Martin, que ses attentions importunent. Moi, j’en suis très satisfaite, car,
de nos jours, ce n’est plus le maître qui choisit son domestique mais le valet
qui élit son maître !
    Et se tournant vers Martin elle cita :
    — « Aux vertus qu’on exige d’un domestique, Votre
Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valet [12]  ? »
    — Bravo, lança Charlotte. Beaumarchais a bien dit !
    — De plus, Basil ne sort jamais, ne clabaude pas avec
les autres domestiques, ne fréquente pas les tavernes… et ne s’est jamais
intéressé aux femmes, ni de près ni de loin, compléta Aricie.
    — Pardi ! fit Martin d’un air entendu.
    — Conservez cet oiseau rare qui vaut un couple de
serviteurs, dit M me  Laviron.
    — En tout cas, Martin n’a jamais été aussi présentable,
aussi élégant, et n’a jamais eu aussi bonne mine. Convenons tous que le mariage
lui réussit parfaitement, renchérit Flora.
    Martin et Aricie échangèrent un regard chargé de tendresse.
    — C’est bien simple, je suis tellement heureux qu’il m’arrive
d’oublier que je suis marié, dit le professeur en riant.
    Seul, Vuippens comprit le sens caché de cette boutade. Quelques
nuits plus tôt, Martin Chantenoz, parti en goguette avec le médecin, dernier
célibataire du cercle, était allé se coucher à trois heures du matin dans son
ancienne chambre de la place Saint-François – conservée comme pensoir, disait-il –,
oubliant qu’une épouse l’attendait au domicile conjugal, rue du Pont ! Au
milieu de la matinée, enfin dégrisé, c’est en voyant l’alliance à son doigt, à
l’heure de la toilette, qu’il s’était souvenu de l’existence d’Aricie. Rentré
assez penaud chez lui, il sut gré à l’épouse de n’avoir posé aucune question. Aricie
l’avait accueilli comme s’il venait de donner un cours matinal à l’Académie.
« Elle a simplement observé qu’elle avait eu un peu froid, seule dans un
grand lit fait pour deux », avait confié le coupable à Vuippens. Puis le
professeur, ému, avait ajouté : « C’est une sacrée femme, Aricie !
Du sang-froid, de la tête et du cœur : qualités rarement réunies chez une
femme. Elle mérite d’être heureuse et choyée. Je vais désormais m’y employer ! »
    Pour Vuippens, ce n’était que propos d’ivrogne
temporairement assagi, mais le professeur s’était appliqué, depuis sa
mésaventure, à une conduite plus raisonnable.
    Quand Trévotte eut à nouveau servi du vin, alors que le
pasteur d’Ouchy et son épouse venaient de s’asseoir dans le salon, le médecin
leva son verre et adressa un clin d’œil complice à Chantenoz.
    — Sacrifions à Bacchus plutôt qu’à Hippocrate, lança-t-il,
certain d’être compris du poète.
    Au moment de passer à table, les Laviron – qui venaient
d’accepter pour la première fois de célébrer le nouvel an depuis la mort de
leurs enfants, Anicet et Juliane – demandèrent aux Fontsalte de ne pas
leur tenir rigueur des refus
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