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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine
Autoren: Maurice Denuzière
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qu’il n’avait jamais occupé, les Vénitiens discutaient le bien-fondé de cette opération. Ceux qui détestaient les Français y voyaient une profanation, les autres une finition harmonieuse de la place. Le bâtiment, devenu résidence du gouverneur autrichien, était maintenant gardé, baïonnette au canon, par des soldats en uniforme blanc.
     
    Ayant apprécié la perspective des colonnades dans l’ombre desquelles trottinaient les gens pressés, Axel décida, ce jour-là, de se présenter au comte Ugo Malorsi. Le jeune homme avait déjà repéré l’entrée du café Florian, sous les Procuratie Nuove. Il savait aussi, par Berto, que le café vis-à-vis, le Quadri, rendez-vous habituel des officiers autrichiens, était dédaigné par les Vénitiens. Un garçon jovial, qui détectait l’étranger au premier regard, accueillit Axel au seuil de l’établissement, fondé en 1720 par Floriano Francesconi, à l’enseigne de Venezia Trionfante. Connu de toute l’Europe sous le nom de Florian, le café était devenu, au fil des décennies, une sorte de club, Bourse pour les hommes d’affaires, lieu de rencontre des patriciens désœuvrés, des artistes, des courtiers d’amour. Les amants y recevaient des messages de leur maîtresse, y rédigeaient des poulets que des saute-canaux, rapides et discrets, livraient sur l’heure.
     
    – M. le Comte est là, au fond de la salle, à droite. Monseigneur le trouvera sous la harpiste, précisa l’employé.
     
    Il s’agissait bien sûr d’une des fresques craquelées qui, entre les glaces aux cadres tarabiscotés, décoraient les murs du café.
     
    Avant de se présenter, Axel Métaz prit place devant un guéridon à dessus de marbre et observa le petit homme, assis sous la peinture représentant une harpiste plantureuse au sein nu, dont l’instrument devait néanmoins être considéré comme céleste, à en juger par les nuages qui floconnaient alentour. Les cheveux gris savamment rassemblés sur le dessus de la tête en un retroussis comique, destiné à masquer une calvitie avancée, le comte lisait un journal fixé sur un bâton. Il parut au Vaudois osseux, malingre, trop serré dans une redingote bleu pastel assez inattendue sur le dos d’un vieillard. Il remarqua toutefois la finesse de la main, sèche, longue, blanche, dépourvue de ces taches brunes qui apparaissent avec l’âge et que tante Mathilde appelait violettes de cimetière.
     
    Axel commanda un punch à l’alkermès, spécialité de l’établissement, tira une carte de son portefeuille et inscrivit sous son nom : « Citoyen suisse, vous est recommandé par votre cousin, l’avocat Gianfranco Brandolini. Souhaite faire votre connaissance. »
     
    Quand le garçon apporta la consommation, Axel lui remit sa carte, en le priant de la transmettre. S’étant fait désigner l’expéditeur du message, le comte se leva, s’inclina profondément dans la direction d’Axel et, d’un geste plein de déférence aristocratique, lui fit signe d’approcher et de prendre place à sa table.
     
    Axel Métaz lut aussitôt dans le regard de souris, vif, mobile et noir, du Vénitien que ce dernier avait remarqué son œil vairon. Il lui fut reconnaissant de ne pas faire allusion à cette particularité. La conversation, amorcée par un interrogatoire courtois de la part du comte, se poursuivit confiante et chaleureuse quand Ugo Malorsi eut commandé le déjeuner pour deux : blanc de poulet, melon d’eau et café. Recommandé par Gianfranco Brandolini, le jeune Vaudois fut d’emblée traité en ami et le comte se mit à son service pour faire connaître au Vaudois ce qu’il nomma la Venise des Vénitiens. Quand il sut qu’Axel habitait l’hôtel de l’Europe et ne fixait pas de durée à son séjour, Ugo Malorsi fit la moue.
     
    – C’est un établissement excellent pour les visiteurs pressés, mais si vous devez passer l’automne, et peut-être l’hiver, à Venise, le mieux est de prendre logement. Vous pourriez habiter un palais en payant par semaine ce que coûte une nuit à l’Europe. Si j’osais, je vous proposerais tout de suite d’occuper un appartement de la Ca’ Malorsi.
     
    – Chez vous ! s’étonna Axel.
     
    – Si l’on veut ! Puisque vous me faites l’honneur de me choisir pour mentor étant donné mon âge, mes relations et que je sens en vous une sympathie pour Venise qui me touche, je dois vous dire ce que vous ne manquerez pas d’apprendre de la bouche de
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