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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest
Autoren: Victor Serge
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éprouve au contact des hommes authentiquement grands. De
l’homme, il connaissait tout, suivait tout, pénétrait tout. Les sales coins de
la bête humaine lui étaient familiers, mais avec quel art il dépistait aussi la
passion, la sagesse, la raison, la grandeur cachées ! Et l’on venait à lui
de tous les horizons. Il me parla d’une délégation de prostituées qu’il avait
reçue. Elles entendaient s’organiser, défendre leurs droits. L’Amer n’en
souriait pas, ne sachant pas dédaigner les victimes. Le plus clair de son temps
s’en allait en démarches pour des intellectuels hostiles ou réactionnaires
malmenés par la révolution. Il en sauva beaucoup. Il fonda une Maison des
Savants, des éditions, des revues, nous aida à fonder le musée de la révolution.
En somme, dans ce naufrage d’une société, Maxime Gorki avait trouvé sa tâche et
c’était de sauver, pour plus tard, quelques hommes, quelques éléments de l’ancienne
culture. Son action de sauveteur il la poursuivit inlassablement, jusqu’à des
temps meilleurs, l’ouragan passé. Il dut éprouver à ce moment une singulière
fatigue. Lénine qu’il avait harcelé de ses interventions et qui l’aimait lui
conseilla de partir, pour faire durer ses poumons et retrouver, sous le ciel
méditerranéen, un peu de sérénité.
    Un profond changement s’était accompli en lui au cours des
huit ou neuf dernières années, depuis son ralliement total au régime
post-révolutionnaire. Je me sens trop loin de lui dans cette phase de sa
destinée pour en parler avec équité. Nul écrivain, de notre temps, ne connut pareille
apothéose. L’Italie a fait D’Annunzio prince de
Monte-Nevoso, lui a donné une garde d’honneur, des canons, une canonnière de
Fiume… L’URSS a fait plus pour l’Amer. La vieille ville de Nijni-Novgorod, dans
laquelle il passa son adolescence, a été débaptisée pour recevoir son nom. Ses
œuvres ont été tirées à des millions d’exemplaires. Ses portraits sont allés
dans les moindres recoins de l’Europe et de l’Asie soviétique. Ses contes ont
été traduits en vingt langues pour être imprimés jusques en des caractères
inventés d’hier. Seul, absolument seul, il a pu disposer, pour parler au pays
et au monde, de toute la presse soviétique. Le contempteur de 1917-1918 était d’ailleurs
devenu un propagandiste passionné. L’hérétique de toujours approuvait tout, condamnait
toute réserve, toute critique, toute dissidence, quelle qu’elle fût, d’où qu’elle
vînt. Il finissait sa vie dans une sorte de rêve éveillé.
    Je l’aperçus pour la dernière fois il y a quelques années, à
Moscou, dans la rue Gorki. Une auto l’emportait. J’eus été effrayé de sa
maigreur, de son teint gris, de ce masque émacié, dur et tendu, s’il ne m’avait
paru si plein de signification. Le visage de l’Amer exprimait je ne sais quel
dessèchement intérieur, une foi désespérément volontaire, une force presque
élémentaire née de la douleur…

Souvenirs *
    8 juillet 1936
    On parlait des agents-provocateurs. Il y en avait, il y en
avait ! Des milliers de dossiers déchiffrés, des milliers à déchiffrer. On
arrêtait chaque mois, dans les organisations du nouveau pouvoir, de ces hommes
qui, toute leur vie avaient trahi. On découvrait aussi, camouflés en petites
gens, parfois en ouvriers, d’anciens fonctionnaires de la police politique du
tsar. Ce soir-là, nous discutions de la création d’un musée qui s’attacherait à
conserver pour l’avenir les documents et les reliques de la révolution. –
« Ah, dit quelqu’un, celui-là, cet ancien sous-chef des services secrets, en
voilà une vieille canaille qui connaît des choses, des choses… On le fusillera
probablement et il ne l’a pas volé. Dommage tout de même qu’il ne nous ait pas
vidé son sac… »
    Alexis Maximovitch – L’Amer, en russe Gorki – s’anima tout à
coup :
    « Je pense depuis longtemps que ces hommes-là on
devrait les garder. Songez que personne mieux qu’eux ne connaît l’infamie des
meilleurs. Ce n’est pas si simple, un agent-provocateur. C’est parfois un
misérable révolutionnaire, traqué, lâche, qui souffre et souffre… Tenez, j’ai
reçu de l’un d’entre eux une lettre singulière. Il m’écrit qu’il savait bien
que sa sale petite trahison n’empêchait pas la victoire du socialisme, et qu’il
se méprisait et qu’il militait pourtant sincèrement… Hein ? Ce
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