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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest
Autoren: Victor Serge
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que c’est
noir et trouble, l’âme humaine…
    » Je pense qu’on pourrait les laisser vivre, réduits qu’ils
sont à l’impuissance de nuire. Il faudrait les faire parler, les étudier à fond.
L’expérience qu’ils ont de leur propre vilénie et de celle d’autrui, comment la
connaîtrions-nous sans eux ? »
    Personne ne répondit à l’Amer que l’heure n’était pas d’une
enquête aussi approfondie sur la vilénie humaine, que trop d’ennemis nous
environnaient sans ceux-là qui nous avaient déjà coûté assez cher. L’Amer
haussa lui-même les épaules, avec une sorte de sourire grincheux, peut-être
ironique, peut-être plus triste qu’ironique. Il sentait bien que personne, même
dans ce paisible conseil, ne lui eut concédé – pour la science – la clémence
envers les pères, à l’heure du plus grand péril…
    Le chef d’un service du Soviet de Petrograd, dont dépendait
la milice criminelle, venait de nous informer de la capture d’une blonde
Maroussia de quatorze ou quinze ans, plusieurs fois évadée des Maisons d’Enfants,
chef de bande réputée – chef d’une bande de petits gars de son âge – coupable
de plusieurs assassinats…
    Seuls au logis, les enfants ouvraient sans peine à la
gentille Maroussia qui savait leur parler ; et elle portait dans sa petite
robe un grand rasoir. La milice criminelle connaissait bien sa marque, – un
coup sûr, direct, porté par surprise, d’une petite main infaillible. – Que faire
de tels enfants ? On hésitait (on ne consentit jamais en ce temps-là à les
traiter en assassins). L’Amer dit :
    « Elle tue, elle ne sait pas ce que c’est que tuer. Elle
ne peut pas encore avoir une notion bien claire de la mort. J’ai vu des gamins
revenir chantants et sautillants d’un lynchage d’officiers après une bataille
de rues. Ils chantaient comme ça : “On l’a noyé, noyé, noyé…” Au fond, ils
ne savaient pas ce que c’est qu’un noyé.
    » Beaucoup d’hommes même ne savent pas ce qu’ils font
quand ils commettent un crime, s’étonnent plus tard de l’avoir commis, ne
conviennent jamais devant eux-mêmes qu’ils sont des criminels. Maroussia est
douée pour l’aventure, habile, forte, entraîneuse. Si on pouvait la prendre
entre des mains vigoureuses, lui apprendre à chercher l’aventure pour le salut
des hommes, l’envoyer quelque part dans notre Nord où la vie est si blanche, si
rude, où il faut dans la dure lutte pour la vie tenir ferme les uns pour les
autres, dans l’équipe, je suis sûr qu’elle serait tout de suite quelqu’un… »
    Les dépêches annoncèrent une révolution pacifique à Budapest.
La bourgeoisie abandonnait le pouvoir. Des socialistes et des communistes
négociaient en prison la formation d’un ministère, puis passaient directement, pilotés
par le comte Karolyi , de leurs cellules aux palais du
gouvernement. Tout allait très bien, paisiblement, (cela devait finir par les
pendaisons, la terreur blanche, la régence de l’amiral Horty, le martyre des
juifs et des prolétaires). Nous étions, un camarade de là-bas et moi-même, inquiets
d’un trop beau commencement, trop beau pour être vrai. Mais l’Amer s’enthousiasma :
    « Ce n’est plus, là-bas, notre vieille Russie
anarchique et barbare. L’Occident nous donne enfin l’exemple d’une révolution
sans effusion de sang, sans violences superflues. La bourgeoisie fait l’économie
d’une résistance, preuve d’intelligence plus que de générosité. Elle a tout à y
gagner. Classe cultivée, elle fournira des cadres à la société nouvelle. Quand
elle verra que tout marche, et qu’elle y est elle-même pour quelque chose, et
que l’on n’a pas besoin pour être un homme utile, fièrement un homme, d’avoir
des liasses d’actions dans un coffre-fort, combien notre tâche deviendra plus
facile ! L’incapacité de se représenter autre chose que ce qui est, la
peur panique d’un adversaire qu’elle ne connaît pas, voilà ce qui la rend
féroce dans la guerre des classes, plus peut-être que l’attachement à la
richesse. Il faut que les hommes apprennent par expérience que l’on peut vivre
grandement, richement, sans richesses à soi. Alors les riches comprendront que
leurs millions ne valent pas d’être défendus… »
    Il se trompait fort sur les magnats de Hongrie et leur caste
militaire. Tout n’était pas erreur cependant dans son erreur, les révolutions
de l’avenir le montreront
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