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Pour vos cadeaux

Pour vos cadeaux

Titel: Pour vos cadeaux
Autoren: Jean Rouaud
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révélait
inefficace tandis qu’elle épongeait, vidait des bassines, surélevait toute sa
marchandise sur des plots de polystyrène de manière à prévenir les risques
d’une nouvelle inondation, étendant sur toute la surface du sous-sol des
matelas de journaux, calfeutrant d’improbables brèches, bourrant de chiffons le
moindre interstice sous les panneaux verticaux d’Isorel perforé qui habillent
les vieux murs, et dès lors guettant avec inquiétude la prochaine averse pour
tester ses dérisoires défenses. Laquelle, en ces mois sombres, ne tardait pas à
tomber, qui la tenait éveillée jusqu’au milieu de la nuit, tandis qu’assise
dans son lit elle l’entendait battre contre la fenêtre de sa chambre, remettant
à l’heure de son lever de découvrir l’étendue des dégâts. De nouveau l’eau
s’était sournoisement invitée, composant maintenant une boue de papier avec les
journaux étalés sur le sol, un magma de nouvelles sinistrées dont elle
remplissait de grands sacs-poubelle qu’elle entassait dans l’entrepôt comme de
précieuses pièces à charge. Elle qui ne supportait pas que l’on mît en doute sa
bonne foi, ne savait plus à quel saint se vouer quand après avoir lancé
plusieurs appels au secours, exposé sa situation, demandé que des personnes
autorisées franchissent les lignes de fortifications pour constater la véracité
de ses dires, on la renvoyait de responsables en responsables, d’un cabinet
d’assurances à l’autre, chacun se lavant les mains avec toute cette eau pirate
qui jaillissait comme une source prodigue dans le sous-sol de sa maison.
    A chaque inondation ses forces l’abandonnaient davantage. Il
y eut quelques charitables, des commandos d’élite, qui franchirent les lignes
pour l’aider dans son pénible éco-page et retardèrent un peu l’échéance, mais
au son affligé de sa voix nous sentions qu’elle touchait à ses limites et que
le miracle d’une seconde résurrection ne se reproduirait pas. Les fêtes de Noël
dans son magasin déserté qui la privait de son triomphe annuel, ce fut comme un
coup de grâce. Tout ce mauvais sang qu’elle s’était fait finit par
l’empoisonner. Au moment où tombaient les analyses fatales, on leva le siège
sur un bourg flambant neuf. Nouveau décor pour une nouvelle pièce dont il était
couru d’avance qu’elle se jouerait sans elle.
    Ce sang frais de la jeunesse qui, il n’y a pas si longtemps
encore, la maintenait en vie et dont elle avait été sevrée pendant les travaux
de réfection du village, on le lui injectait maintenant au cours de longues
séances de transfusion où elle réservait ses sanglots à ses voisins de lit,
ceux qui souffraient plus qu’elle, ou n’avaient pas l’âge de telles épreuves,
ou dont elle estimait, même à situation égale, que son infortune en comparaison
était moins grande. De sorte qu’au retour de ces pénibles séances elle
s’interdisait la moindre plainte pour elle-même, passant désormais ses journées
allongée, elle, notre vif-argent, trop faible pour seulement tourner les pages
d’un livre, immobile, les yeux ouverts à fixer le plafond de la chambre,
semblant y projeter le film de ses pensées, réactiver ses souvenirs, un détail
lui revenant dont parfois elle faisait part au visiteur de passage s’asseyant
dans le fauteuil près du lit pour lui tenir un moment compagnie, échanger
quelques mots avec elle qui n’évoquait la perspective proche de sa disparition
qu’aux membres les plus lointains de son entourage, par exemple une amie
d’enfance in extremis retrouvée, qui haussait les épaules quand sa vieille
complice de Françoise d’Amboise se laissait aller à ses pensées les plus
noires, s’essayant pour la convaincre à une vaine dialectique : tu sais
bien que les médecins se trompent souvent, ces mêmes médecins dont en même
temps elle affirmait qu’ils la tireraient d’affaire.
    Au retour de l’hôpital, son masque blanc retrouvait
provisoirement un peu de couleur, mais pour un laps de temps de plus en plus
court, comme si son organisme affolé brûlait de plus en plus vite ses réserves
d’énergie, l’obligeant à des séances de transfusion sanguine de plus en plus
rapprochée pour un scénario dont nous connaissions le déroulement. Car cette
femme amaigrie, vieillie, qui a déjà la pâleur de la mort et qui est votre
mère, vous savez que le temps qu’il vous reste à passer auprès d’elle vous est
désormais
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