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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

Titel: Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants
Autoren: Mathias Enard
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penser à la chanteuse andalouse, à sa voix et ses mains dans la nuit.
    — Rien que vous n'ayez déjà fait, je vous remercie. Et Mesihi veille à mes moindres désirs.
    — Ah, ce Mesihi.
    Il y a comme un reproche dans la voix d'Arslan.
    — C'est un compagnon charmant et un guide agréable.
    — Un homme qui se perd dans le vin et l'opium se perd lui-même.
    — Certes. C'est néanmoins un grand poète. Arslan marque une hésitation.
    — Avez-vous entendu sa poésie, maestro?  
    — J’en connais les extraits qu'on a bien voulu me traduire. C'est aussi beau que notre Pétrarque.
    — Si vous le dites.
    Michel-Ange est légèrement agacé par les insinuations du jeune homme Comme à son habitude, il ne peut s'empêcher d'être à la limite de l'impolitesse :
    — Auriez-vous quelque chose contre lui ? Arslan n'hésite pas une seconde.
    — Non, bien sûr, au contraire. C'est le protégé du grand vizir ; on peut mesurer l'importance de quelqu'un à la puissance de ses amis.
    Sans être un courtisan accompli, Michel-Ange a saisi la perfidie des mots d'Arslan.
    Il aimerait que le singe vienne opportunément uriner sur les chausses du commerçant, mais l'animal a attrapé la plume sur l'écritoire et essaie, chevalier velu maniant maladroitement une lance trop grande pour lui, de la tenir droite et de tracer Dieu sait quoi sur le papier.
    Michel-Ange rit aux éclats.
    — Vous voyez ? Tout cela n'a pas grande importance.
    Arslan se sent obligé de s'esclaffer avec lui.
    — Ce ne sont que des singeries, s'il faut en croire votre horrible bête.
    Michel-Ange reste un moment silencieux, avant de souffler
    — C'est juste. Nous singeons tous Dieu en son absence.  

 
     
     
     
     
     
    Le 24 juin, jour du Baptiste, le caravansérail de Maringhi est en fête. Michel-Ange est un peu l'invité d'honneur ; quelques commerçants génois et vénitiens sont là, oubliant pour un temps leur rivalité ; Mesihi aussi, bien sûr, ainsi que Falachi et tout ce qu'Istanbul compte de Florentins et de Toscans. On est allé à l'office le matin, dans l'église latine de l'autre côté de la Corne d'Or ; on pense qu'à Florence, le soir venu, on allumera les feux au bord de l'Arno, et on est un peu mélancolique. Michel-Ange tient compagnie à Mesihi, rayonnant de beauté dans un caftan brodé. L'été commence à peine et pourtant la chaleur est déjà étouffante malgré l'ombre de la cour, où sont dressées les tables du banquet. Arslan arrive à son tour, et salue respectueusement l'hôte avant de s'approcher de Michel-Ange et de Mesihi. Le sculpteur aperçoit le poète tressaillir de surprise ou de mécontentement ; il ne semble pas porter ce compatriote cosmopolite dans son cœur.
    Michel-Ange est déçu de voir qu'Arslan est venu seul ; il espérait secrètement qu'il arriverait avec le chanteur tant attendu ; il n'ose poser la question.
    On passe à table.
    Maringhi a bien fait les choses. Le banquet est copieux et interminable.
    Michel-Ange le frugal, incommodé par la chaleur, mange du bout des doigts.
    A la moitié du repas, il abandonne les convives pour se retirer dans sa chambre, prétextant la fatigue, lui qui est infatigable.
    Il relit un sonnet écrit la veille, le trouve mauvais et le rature rageusement.
    Il ne redescend dans la cour que quelques heures plus tard.
    Mesihi a disparu.
    L'assistance est réduite de moitié.
    On joue, on boit des sorbets.
    Arslan est toujours là, ce qui rassure un peu l'artiste. Tout espoir n'est pas perdu. On viendra peut-être plus tard. Oui, c'est cela, sans doute. Les musiciens arriveront à la nuit, avec les feux.
    Michel-Ange goûte cette soupe de cerises sucrée rafraîchie avec de la neige d'Anatolie ou des Balkans qu'on compresse en gros blocs et conserve dans le noir, au fin fond des citernes, en la recouvrant de paille.
    On lui propose une partie de cornet ou de trictrac, il refuse. Il est encore moins joueur que buveur, si c'est possible. Il s'assoit près d'Arslan, qui affiche son éternel sourire et l'interroge sur ses affaires, sujet de conversation comme un autre.
    — Je ne peux pas me plaindre. La paix avec la République favorise le commerce. Je devrais retourner prochainement à Venise. J'ai un entrepôt là-bas, pas aussi grand que celui-ci, certes, mais florissant tout de même.
    Michel-Ange a du mal à se persuader que ce jeune homme athlétique est bien un commerçant. On l'imaginerait spadassin, voire homme de cour, mais sûrement pas derrière un comptoir,
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