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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium
Autoren: Andrea H. Japp
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une cruche d’eau, deux galettes de blé et une écuelle fumante de
semoule, de pois jaunes et de mouton. Il semblait chantonner dans son
demi-sommeil. L’Arménien se rapprocha. Il ne s’agissait pas d’un chant, mais
d’une langue inconnue et mélodieuse. Il secoua légèrement l’épaule du malade,
qui se réveilla en sursaut.
    — Mange, mon frère de route.
Prends quelques forces.
    — Je n’ai pas faim.
    — Mange quand même.
    L’autre se força, ramassant de ses
longs doigts aux ongles carrés de petites boulettes de semoule imbibées d’une
sauce rougeâtre.
    — D’où viens-tu ? Si c’est
indiscret, je ne me formaliserai pas de ton silence.
    — Indiscret ? Non, il est
trop tard, même pour cela. Je suis né sur la plus grande des îles Dalhak [8] . J’étais pêcheur. Je remonte depuis de longs mois la berge africaine
de la mer Rouge. Et me voici dans ce taudis de terre de la périphérie
d’Alexandrie.
    — Pourquoi ce long
périple ?
    — Pour ça, dit-il en désignant
le gros sac plaqué contre son abdomen. Pour le vendre, m’en débarrasser.
    — De quoi s’agit-il, si tu veux
le dire ?
    — Je l’ignore. Pourtant, j’ai
senti sa puissance au travers de la toile tout le temps de mon voyage. Et
vois-tu, je n’en veux plus… ou alors, ajouta-t-il dans un sourire défait, c’est
lui qui ne veut plus de moi.
    — Mange encore, bois. Ensuite
tu me raconteras ton histoire. En échange, si tu le souhaites, je t’offrirai la
mienne. Elle n’est pas très distrayante. Toutefois, je n’en connais pas
d’autre.
    Le grand homme noir semblait avoir
brûlé ses dernières forces. Il tomba peu à peu dans une sorte de coma,
balbutiant de délire en cette langue incompréhensible et si douce. L’odeur
aigre de sa sueur s’élevait dans la petite pièce à en devenir suffocante. Il
grelottait en dépit de la moiteur de la nuit.
    Firûz le veilla comme il l’eût fait
d’un proche ou d’un enfant, comme il avait veillé sa mère des années plus tôt.
Il n’aurait su expliquer pour quelle raison, lui qui s’était détaché des êtres
au point que les visages qu’il croisait maintenant devenaient interchangeables.
Où se perdirent ses pensées et ses souvenirs durant cette nuit d’agonie d’un
étranger ? Il n’en avait au matin plus la moindre idée.
    L’homme dont il ne saurait jamais le
nom comprit-il que les premières lueurs du jour seraient ses dernières ?
Les relents lourds et nauséabonds des marécages proches parvenaient jusqu’à
eux. Parfois un remous vigoureux signalait la chasse d’un crocodile.
    — Merci, compagnon,
chuchota-t-il.
    — Merci de quoi ? D’un
gobelet de thé trop fort ?
    — Merci de m’avoir soutenu. La
mort est moins laide et effrayante lorsqu’on l’affronte en amicale compagnie.
    Il serra les mains de Firûz dans les
siennes et désigna d’un regard le sac toujours plaqué contre son ventre. Ses
yeux d’une belle couleur de châtaigne se ternirent, puis ses longues paupières
étirées se baissèrent. Sa main se referma en étau sur le poignet de l’Arménien.
Un soupir lui échappa et un déroutant sourire flotta sur ses lèvres sèches de
fièvre.
    Firûz demeura là quelques instants,
incertain. L’homme mort venait-il de lui léguer son bagage ? Avait-il le
droit de s’en saisir ? Étrangement, et alors qu’il eût volontiers
détroussé un voyageur en d’autres circonstances, il tergiversa. Seule
l’inacceptable pensée que s’il ne le récupérait pas, le tenancier s’en
chargerait sans rechigner le décida. Sans même en inspecter le contenu, il le
chargea sur son épaule, étonné de son poids. Il sortit dans le petit matin,
priant pour le repos de son compagnon de rencontre qui, peut-être, lui avait un
peu redonné le goût des humains.
     

Seize ans plus tôt.
Palais du Vatican, Rome, septembre 1290
    L’évêque Jean de Valézan, un des plus
jeunes prélats du royaume de France, s’impatientait. Une moue de déplaisir sur
le visage, il se tourna pour contempler les maisons épiscopales [9] qui constituaient
le cœur du palais papal, cœur que l’on devait au court règne de Nicolas III [10] . Une pensée chassa sa mauvaise humeur. Dans peu de temps, il en serait
le maître absolu, le maître juste après Dieu. Car Dieu était à ses côtés, il
n’en doutait pas. Dieu aime les forts et les encourage de signes. Seuls les
imbéciles ou les courts de vue n’y perçoivent que des coïncidences.
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