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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium
Autoren: Andrea H. Japp
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sa
poitrine.
    L’intermédiaire rencontré à
Constantinople un mois auparavant avait proposé une somme faramineuse, deux cents
livres*. Firûz avait alors fixé le grand homme émacié au regard bleu pâle,
tentant de rester de marbre. Au prix d’un effort, il avait hoché la tête en
crispant la bouche d’insatisfaction. Il avait murmuré de peur que sa voix ne
trahisse sa stupéfaction et son émotion : « C’est bien peu
monseigneur. Je vous avoue que j’en espérais davantage. Peut-être… peut-être
n’êtes-vous pas l’acheteur que j’attendais. » L’autre avait aussitôt
renchéri, menaçant d’un ton plat : « Je t’en offre trois cents, c’est
mon dernier prix. Nous souhaitons vivement acquérir cet… objet. Tu lui
trouveras peu d’amateurs. Il… brûle les doigts. Ne te montre pas trop avide, tu
pourrais tout perdre, l’objet et bien pis. » Étrangement, Firûz avait eu
le sentiment que l’autre savait ce qu’il recherchait quand lui-même ignorait ce
qu’il vendait. Il avait dompté sa curiosité. Avouer qu’il méconnaissait la
nature exacte de ce qu’il avait dissimulé dans le grand panier d’osier pendu au
bât du chameau et recouvert de cristaux de sucre risquait d’encourager son
acquéreur au marchandage.
    Quelle étrange succession de
coïncidences, si enchevêtrées que Firûz parvenait à peine à les démêler.
Pourquoi s’était-il arrêté, deux ans plus tôt, dans cette case de paille et de
boue séchée en fin de matinée quand sa destination finale, le port, n’était
plus qu’à deux petites lieues ? Pourquoi avait-il offert quelques gobelets
de thé à l’homme noir, et décidé de veiller sa fièvre, puis son agonie ?
    Quel instinct l’avait prévenu de
l’extrême valeur du contenu du sac ? Depuis deux longues années, il le
transportait partout avec lui, le surveillant à en perdre le sommeil, se
réveillant parfois au creux d’un cauchemar, certain qu’on avait profité de son
assoupissement pour le lui dérober. Il se levait alors, se précipitait,
dénouait les liens qui le fermaient et soupirait de soulagement. Firûz ne
savait comment, ni surtout à qui le proposer. Une nouvelle coïncidence – à
moins qu’il ne se fût agi de la main du destin ? – s’était portée à son
secours, dans le grand bazar de Constantinople.
    Il s’était arrêté devant l’éventaire
d’un cordonnier afin de donner ses bottes à ressemeler et de s’y désaltérer
d’un bol de tchaï aux feuilles de menthe. Un Européen jovial, bellement vêtu,
portant l’épée, était déjà accoudé au comptoir. Après quelques instants rythmés
de l’incessant vacarme du bazar, où s’entrecroisaient blatèrements hargneux et
invectives en cent langues étranges, l’homme avait plaisanté :
    — Tu sembles transporter un
paquet bien pesant, l’ami.
    — Il l’est, s’était contenté de
répondre l’Arménien en chassant d’un revers de main les mouches obstinées qui
s’agglutinaient en grappes sur les carcasses pendues à l’étal du boucher
voisin.
    — Es-tu marchand ?
    — À mes heures.
    — Comme nous tous, donc, avait
ri l’homme.
    — Vous faites commerce en cette
terre ? avait osé Firûz en dépit de l’élocution et de la mise de son
interlocuteur, qui indiquaient qu’il n’avait pas affaire à un homme de bas [13] .
    — Pas vraiment. Disons qu’il
m’arrive d’acheter pour revendre à meilleur prix. Et toi, que cherches-tu à
négocier ?
    Firûz avait hésité. Le temps, le
lieu se prêtaient mal à la confiance. Le grand bazar abritait tant de trafics,
de roueries. On s’y faisait trancher la gorge pour quelques pièces ou un mot de
trop. D’un autre côté, la constante promiscuité de Firûz avec son chargement
lui rongeait la vie, sans qu’il sache pourquoi. Il craignait qu’on le lui vole
et pourtant, il ne supportait plus d’y penser à chaque instant. Le paquet lui
pesait sur l’âme, de plus en plus. Depuis quelque temps, il le rendait
responsable du dernier sourire de l’homme noir croisé à Alexandrie. La mort
avait libéré l’homme de son fardeau, enfin.
    L’Arménien s’était décidé : il
devait se débarrasser de son chargement, au plus rapide, et surtout au plus
offrant, quitte à le regretter ensuite. Il avait donc biaisé :
    — C’est que… il ne s’agit pas
d’un… objet commun.
    La vague curiosité de l’autre
s’était muée en intérêt.
    — Vraiment ? Que
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