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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore
Autoren: Jean-Pierre Charland
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grossesses, et la petite fille, une brunette âgée de neuf ou dix ans.
    — Télesphore, Marie-Anne, que désirez-vous ?
    Les cultivateurs, occupés toute la journée par les travaux des champs, venaient parfois faire des emplettes après la traite des vaches. Cela forçait les deux commerces du village à rester ouverts à des heures tardives.
    — Si je veux porter plainte contre quelqu’un, je dois m’en remettre à toi ?
    Surpris, l’homme arqua les sourcils. Pareille éventualité arrivait bien rarement.
    — ... Je suis le juge de paix, alors oui, je suis la personne tout indiquée, à moins que tu ne fasses le voyage jusqu’à Québec.
    Mailhot, un homme de taille moyenne, robuste, abandonna son sourire mercantile. Son visage un peu rond, rasé de près, trahissait un nouvel intérêt. Si dans les villes, des services de police permettaient aux citoyens de porter plainte et d’obtenir une enquête, à la campagne, des personnes honorables jouaient le rôle de «juge de paix». Ils devaient régler de légers différends entre les habitants, et recueillir des informations pour les infractions les plus graves.
    — Non, je ne veux pas aller à Québec. C’est au sujet de ma fille, Aurore. Son pied.
    Oréus baissa les yeux. L’un des pieds de l’enfant paraissait enflé, au point de déborder un peu de la chaussure. Toutefois, ce fut l’autre pied qui retint le regard du juge de paix.
    — Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
    Il s’agenouilla pour toucher juste au-dessus de l’endroit où une grande surface de peau avait été arrachée. La chair prenait une couleur d’un vilain bleu violet.
    — Aie ! s’exclama-t-elle en se reculant un peu.
    Malgré la douleur, ou peut-être à cause d’elle, sa voix demeurait faible, presque résignée.
    — Comment cela est-il arrivé ? insista l’homme.
    Devant le silence de la gamine, le commerçant leva les yeux vers la mère.
    — Des garçons du septième rang l’ont arrangée comme ça.

    — Nous voulons porter plainte contre eux, renchérit le mari.
    Les jambes nues de la fillette ressemblaient à des allumettes pendues sous le bord de la robe. Mailhot compta très vite, releva les yeux en disant:
    — Je vois cinq autres bleus. Ce sont des blessures plus anciennes, la peau est passée au jaune. Ces petits garçons s’acharnent-ils sur elle ?
    Le couple se consulta rapidement du regard, puis la femme répondit :
    — Elle a tous les vices : souillon, menteuse, voleuse même. Si j’osais tout vous dire...
    Ce genre de précaution précédait d’habitude une révélation scabreuse.
    — Elle est impure, siffla la femme entre ses dents.
    — Alors, il faut la corriger, compléta le père.
    — La corriger en la frappant sur les jambes ? Pour laisser des marques comme celles-là, cela prend des coups violents.
    Encore une fois, l’homme et la femme échangèrent un long regard.
    — Nous ne pouvons la laisser continuer à commettre des péchés, déclara Marie-Anne.
    — En plus, elle a une mauvaise influence sur ses frères et sœurs. Si je ne la dompte pas, ils deviendront aussi vicieux qu’elle.
    Se remettant debout, Mailhot regardait la petite fille. Elle levait un visage rond vers lui. Ses yeux bruns exprimaient un profond désarroi... Entendre débiter la liste de ses tares morales devant un inconnu pouvait certes expliquer cette attitude, mais le juge de paix croyait y déceler autre chose.
    — J’aimerais parler à cette jeune personne seul à seul.

    — ... Ce n’est pas nécessaire, je vous ai dit ce qui est arrivé.
    Marie-Anne paraissait méfiante maintenant. Son époux posa une main sur l’épaule de l’enfant, fit mine de lui faire exécuter un demi-tour.
    — Je te disais que nous perdions notre temps, maugréa-t-il.
    Allons-nous-en, il ne fera rien.
    — Pas si vite, Télesphore. Si ta fille est la victime, c’est à elle de me dire ce qui est arrivé.
    Mailhot tendit la main en plongeant ses yeux dans ceux de l’enfant, un sourire sur les lèvres.
    — Je dois même avoir des bonbons pour toi.
    Elle hésita un bref instant, puis accepta la main tendue.
    Pour marcher, elle devait poser son pied par terre. Chacun des pas lui coûtait un effort douloureux, elle grimaçait sans cesse. Une voix féminine, à la fois douce et étrangement menaçante, intervint :
    — Aurore.
    La fillette se retourna pour écouter sa mère.
    — Aurore, écoute-moi bien. Fais attention à comment tu vas parler.
    Des yeux, le père paraissait appuyer
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