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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore
Autoren: Jean-Pierre Charland
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perdait un peu de sa prestance avec ses bas en laine grise. Il le toisa une seconde.
    — Un petit verre, alors ?
    — Ah ! Ce défaut-là, je l’ai.
    Le charpentier lui tendit donc un verre ébréché rempli d’un liquide à peu près clair. Mathieu en avala la moitié, grimaça brièvement avant de dire :
    — Celui-là n’est pas passé par l’un des vendeurs autorisés du gouvernement de Lomer Gouin.
    — Si tu penses que j’ai les moyens de payer un médecin pour boire un coup...
    L’homme tira une chaise, la plaça à côté de celle du visiteur.
    — Tu travailles au gouvernement, tu devrais leur dire que cette prohibition n’a pas de sens.
    — Je n’ai aucune influence sur les messieurs du gouvernement, je vous assure.

    Mal à l’aise devant la tournure des événements, Flavie se leva pour aller aider sa mère et sa sœur, occupées à préparer le repas.
    — Tu fais quoi, au gouvernement ? continua l’homme.
    — Je suis stagiaire au bureau du procureur général.
    — C’est quoi, ça ?
    — Le service qui s’occupe de poursuivre les criminels ni nom du roi.
    Androinus Poitras le regarda de haut, soupçonnant le jeune homme de se moquer de lui. Que le roi d’Angleterre se mêle de poursuivre les voleurs de pommes et les batteurs de femmes le laissait perplexe. Mais comment traiter de menteur un jeune homme vêtu d’un complet de bonne coupe, arrivé au volant d’une petite voiture rouge ?
    — Et ça rapporte, le métier de stagiaire ?
    L’hôte avait hésité sur le dernier mot.
    — Papa ! laissa tomber Flavie depuis l’évier.
    Le père jeta sur elle un regard sévère, puis demanda un ton plus haut:
    — Ça rapporte ?
    — Pas grand-chose. En fait, ce n’est pas un métier, mais une occupation réservée à des étudiants. Je vous l’ai dit aux fêtes, je suis encore à l’université.
    — Je m’en souviens, mais je croyais que c’était une farce.
    A ton âge...
    Mathieu adressa un sourire à Flavie, maintenant rouge de honte.
    Le charpentier serra les mains. Ce visiteur se révélait bien insaisissable, avec ses phrases élégantes et son humour chargé d’ironie. L’arrivée de ses deux garçons, âgés de près de vingt ans, permit d’abandonner ce sujet. La conversation porta alors sur le chantier de l’église Saint-Roch. Même si le service y avait lieu depuis un bon moment, certains aménagements intérieurs demeuraient incomplets. Ce trio, le père et ses garçons, y avaient travaillé pendant trois ans.
    Pendant le repas, Mathieu comprit pourquoi Flavie se sentait si mal à l’aise de lui offrir le spectacle de sa vie familiale. Cela tenait moins à la honte de ses origines modestes qu’à une tension sourde, une violence larvée. Le pater familias se donnait des allures de potentat. Tous les autres membres de la maisonnée s’exprimaient prudemment, baissaient les yeux sur la table.
    Dans cette grande maison bien construite, confortable même, sa compagne devait avoir connu bien peu de journées franchement joyeuses.

    *****
    Vers huit heures, le couple se tenait dans l’embrasure de la porte, les chaussures aux pieds.
    — Ce n’est pas nécessaire, affirmait Mathieu. Je ne pourrai pas vous la rapporter.
    — Voyons, une pierre que j’ai mise un moment sur le poêle ! Vous la jetterez le long de la route.
    La mère de Flavie tenait une caisse en bois d’où la chaleur irradiait.
    — Cela vous réchauffera au moins pendant la moitié du chemin. Le tout est de ne pas laisser vos vêtements y toucher.
    Discuter ne servait à rien, le visiteur accepta le présent.
    Un peu plus tard, après s’être cassé les bras pour tourner la manivelle, le jeune homme retrouvait sa place.
    — Ta mère a bien raison, cela nous tiendra au chaud quelque temps. Essaie de placer tes pieds de chaque côté; A la moindre odeur de brûlé, je devrai te rouler dans la neige pour éviter des cloques sur tes jolies jambes.
    — Tu n’as jamais vu mes jambes.
    — Je les devine.
    Heureusement, la voiture offrait assez d’espace pour permettre à la jeune femme de placer ses pieds de part et d’autre de la boîte. Elle devait trousser sa robe et son jupon à la hauteur de ses genoux, mais l’obscurité protégeait sa pudeur.
    Après un long silence, Flavie marmonna :
    — J’ai eu tellement honte, tout à l’heure. «Ça rapporte ? »
    Elle avait imité la voix de son père pour dire les derniers mots.
    — Quelle grossièreté, ajouta-t-elle.
    — Ne sois pas trop
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